Rosalie Blum

Du gris à la lumière

Le premier long-métrage du scénariste de Cloclo et Belles Familles, adapté du roman graphique de Camille Jourdy, Julien Rappeneau, est un régal de comédie, pleine de bizarreries et d’humanité.

« Ah oui ! »… Tandis qu’il leur coupe les cheveux, les clients de Vincent lui racontent la famille, les querelles, la moquette. Et lui répond gentiment, parfois un peu las, mais jamais moqueur ni méprisant : « Ah oui ! ». Entre le salon de coiffure repris à la mort de son père et la vindicte de sa mère, qui loge dans le même immeuble, entre sa copine partie s’installer à Paris et son cousin qui veut lui présenter des créatures, Vincent Machot est l’habitant solitaire (avec chat) d’une vie ordinaire sans bruit ni fureur, sans couleurs ni trompettes. Ah oui… Mais voilà qu’un dimanche, pour acheter une boîte de crabe, il pousse la porte d’une épicerie : frappé par le visage, triste et doux, de la femme qui lui rend la monnaie, certain qu’il l’a déjà vue quelque part, Vincent se met à suivre Rosalie Blum. Elle devient son obsession et il n’est pas impossible que ça embellisse sa vie.

Avec cette adaptation de la BD de Camille Jourdy, Julien Rappeneau, scénariste des deux derniers films de son père Jean-Paul, et de Mais qui a tué Pamela Rose ?, Zulu ou Au nom de ma fille, signe son premier long-métrage. Il réinvente l’univers graphique et la structure, ici redéployée en trois chapitres liés aux personnages principaux (dans l’ordre : Vincent, Aude, jeune femme blonde et désenchantée qui est la nièce de Rosalie Blum, et Rosalie elle-même), reprenant par trois fois l’histoire au début, du point de vue de chacun. Il crée un conte original, émouvant et drôle, plein de surprise et d’humanité, qui prend sa source dans le réel et dans le quotidien provincial (le film s’est tourné à Nevers) de gens gris, esseulés, désolés. Il faudrait citer in extenso tous les noms des acteurs qui, de Noémie Lvovsky à Anémone, de Kyan Khojandi à Alice Isaaz, en passant par Sara Giraudeau, Nicolas Bridet, Philippe Rebbot et Camille Rutherford, donnent chair et âme à ces héros ordinaires.

La multiplication des points de vue, le ton et le rythme, les notes de piano de Martin Rappeneau et la belle reprise à la guitare d’une chanson entêtante de Belle and Sebastian (Get Me Away From Here), la qualité des dialogues, nous plongent irrésistiblement au cœur de la vie truculente de ces hommes et ces femmes que d’aucuns diraient sans histoire et qui sont ici regardés chaleureusement, intelligemment, sans misérabilisme. Il faut autant de courage pour être qui on est que pour devenir quelqu’un d’autre, c’est ce que nous rappelle Rosalie Blum avec une tendresse et un humour contagieux. Ah oui !