Le temps du cinéma #3

Peggy Vallet, directrice du cinéma Le Studio à Aubervilliers et Richard Stencel, responsable jeune public

BANDE À PART propose une série d’entretiens avec des professionnels du cinéma qui racontent leurs réalités du travail, les perspectives et ce qui se joue durant cette période unique dans l’histoire de l’humanité.

Alors que de nombreux festivals internationaux ont interrompu, reporté ou annulé leur édition 2020, que toutes les salles de cinéma sont fermées, les tournages arrêtés, que se joue-t-il concrètement au jour le jour ?

 

Que faisiez-vous le samedi 14 mars au soir lorsque le gouvernement a annoncé vouloir fermer les salles de cinéma en France ?

Peggy Vallet (P.V.) : Le jeudi 12 mars, nous avons appris que les écoles allaient fermer, or ce sont des partenaires importants avec lesquels nous travaillons depuis des années. Durant deux jours, au sein de l’association qui gère le cinéma, nous nous sommes posé beaucoup de questions : allons-nous fermer ou continuer de recevoir les publics ? Et dans ce cas, quelles mesures prendre pour garantir la sécurité des spectateurs ? La décision a été prise par notre président de maintenir Le Studio ouvert. Le Studio est un cinéma mono-écran avec cent-vingt-sept sièges, nous pouvions donc bloquer la jauge à moins de cent places, dans le respect des mesures barrière. Nous avions un peu anticipé cette annonce car, depuis plusieurs jours, nous sentions monter l’inquiétude des spectateurs. Aussi, dès la première semaine du mois de mars, nous avons pris l’habitude de nettoyer et de désinfecter toutes les deux heures les portes, les poignées et les rampes. De même, nous avons systématiquement fourni des gants et du gel hydroalcoolique à toute personne que nous recevions au sein du cinéma. C’est sur notre propre trésorerie que nous avons décidé de prendre ces mesures de précaution, afin de maintenir une offre cinématographique. Le Studio est pour beaucoup le seul lieu de sortie. Le vendredi 13, nous avions maintenu une séance pour un public âgé, un ciné-thé qui a rassemblé plus de cinquante personnes. Les gens nous remerciaient de rester encore ouvert.  Le lendemain, samedi 14 mars, nous avions une soirée bretonne avec la projection du film Plogoff, des pierres contre des fusils de Nicole le Garrec, en partenariat avec Périphérie, animée par l’historien Tanguy Perron. La séance a rassemblé une trentaine de spectateurs. Durant la projection, nous avons appris la fermeture de tous les lieux culturels en France. Nous avons attendu la fin du débat pour l’annoncer au public. L’atmosphère était vraiment émouvante. Nous nous disions au revoir sans savoir quand exactement il sera possible de se retrouver.

Richard Stencel (R.S.) : En tant que responsable jeune public, je suis en charge de la programmation et de l’animation de toutes les séances. Dès la première semaine du mois de mars, je sentais monter une grande inquiétude de la part des familles, et aussi des écoles qui venaient aux séances prévues. Nous avons donc assuré tout un protocole de sécurité sanitaire avec la diffusion de l’information. Nous avons aussi mis des affiches un peu partout pour expliquer ces mesures. De plus, pour chaque présentation de séance, j’avais intégré une courte animation destinée aux jeunes. Je leur montrais comment tousser dans sa manche, comment bien se laver les mains après la séance. Il s’agissait de dédramatiser la situation, afin de la rendre ludique, pour mieux accueillir les enfants dans une ambiance douce et bienveillante. Par exemple, je me souviens la séance du 8 mars pour les tout-petits, dès trois ans. Elle a été conçue en partenariat avec le distributeur Cinéma Public Films. Ce programme, L’équipe de secours, est composé de courts-métrages. Entre chaque court, je proposais une animation avec les marionnettes du film qui nous avaient été prêtées pour la circonstance. Les enfants ont pu constater qu’elles savaient se protéger du virus en se nettoyant les mains au lavabo avec du savon. Et bien sûr, les marionnettes savaient aussi utiliser du gel hydroalcoolique ! On s’amusait vraiment bien. Les parents étaient contents de nos actions.  

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Depuis la fermeture des cinémas le dimanche 15 mars, que se passe-t-il concrètement pour le Studio d’Aubervilliers ? Avez-vous mis en place des actions spécifiques pour vos publics ?

P.V. : J’ai vécu assez brutalement la fermeture du cinéma. C’était un choc violent à vivre d’être ainsi coupée de notre travail, de nos rapports avec les spectateurs, de tout ce qui faisait notre quotidien. Je dois ajouter que je suis tombée malade, ce qui m’a donné du temps pour réfléchir et comprendre comment, dans ce contexte, je pouvais travailler différemment. En tant que salle associative, nous avions à informer nos publics. C’était important de garder le lien. Ensuite, il a fallu gérer l’aspect administratif pour chaque salarié. Nous sommes six permanents avec cinq personnes à temps plein. Nous étions tous en chômage technique, du moins les premières semaines. Ensuite, au sein de l’équipe, s’est posée la question de savoir si nous allions diffuser des contenus en ligne. Allions-nous proposer des activités, sachant que cela ne doit pas être à temps plein ? Est-ce à la salle de cinéma de mettre en ligne des films, et si oui lesquels ? Est-ce notre philosophie ? Cela m’a permis de réfléchir vraiment à la nature de mon métier. Suis-je une programmatrice ou seulement prescriptrice de films ? Le cœur de mon métier, qui est aussi la philosophie du cinéma Le Studio, est d’être en lien avec nos spectateurs. Nous avons donc décidé de ne pas souscrire à cette idée d’une diffusion en ligne. Nous avons été approchés par des distributeurs qui nous ont proposé de participer à la 25ème heure, une salle de cinéma virtuelle en ligne. C’est peut-être tentant, car les rencontres nous manquent, mais nous ne voulons pas y souscrire. Un film doit d’abord et avant tout être découvert au cinéma, tous ensemble réunis, et non pas chacun chez soi devant un petit écran. Les spectateurs qui ont déjà l’habitude des plates-formes n’ont pas besoin de nous pour découvrir des films en ligne. Le Studio est un lieu de projection et un lieu de vie. C’est peut-être trivial de le dire ici, mais chaque projection est souvent suivie d’une collation, d’un verre offert, qui nous rassemblent. Pour maintenir malgré tout le lien avec les spectateurs, nous avons bien évidemment la newsletter, mais surtout des appels téléphoniques. Depuis quelques jours, pour les personnes qui n’ont pas d’e-mail, nous prenons le temps de discuter avec eux. Ce sont le plus souvent des personnes que l’on voyait plusieurs fois par semaine. On se donne des nouvelles, on prend le temps de parler avec eux, car c’est un plaisir. Avec Marion, qui a rejoint l’équipe en mars, en partenariat avec les services de la politique de la ville, nous mettons en place un atelier de tournage avec les jeunes d’Aubervilliers – autour de la question de filmer un proche ; cet atelier est mené par le réalisateur Nadir Dendoune. Durant le temps de confinement, on a proposé une formation en ligne. De plus, j’ajoute qu’une radio a été créée par le collectif AuberCovid 19. Au lieu de donner des conseils, nous avons préféré donner la parole aux spectateurs du Studio. Chacun raconte sa relation avec un film coup de cœur, dont les auditeurs doivent deviner le titre. Nous égrenons des indices avec des extraits, c’est une manière ludique de donner à la fois de nos nouvelles et de celles des spectateurs.

R.S. : L’activité avec le jeune public s’est bien évidemment interrompue, car tout se joue durant le temps de la projection en salle. La venue au cinéma n’est pas uniquement de la « consommation » d’images. Notre valeur ajoutée est la rencontre humaine qu’offrent les salles de cinéma de proximité. Passé le choc de la première semaine où toutes les salles étaient fermées, ce temps du confinement m’a donné à réfléchir sur l’essence de mon travail. Les personnes les plus touchées par le confinement sont les enfants, très nombreux en Seine- Saint-Denis et notamment à Aubervilliers. J’ai donc mis en place des petites animations, dans un premier temps sur ma page facebook, comme un carnet de notes intitulé Confinemascope. Il s’agit pour les familles de s’amuser autour du cinéma. Déclinées au format papier et envoyées en PDF par e-mail, ces petites fiches d’animation peuvent proposer à chacun de créer son cahier de cinéma. De nombreuses chaînes du service public diffusent de bons films, sur lesquels je proposais un éclairage. J’incitais le public à raconter leur séance à la maison, à tenir un journal de bord cinéphile sur ce temps de cinéma chez soi, à dessiner par exemple aussi l’affiche du film. Comment aussi créer son propre film chez soi à la manière de Michel Gondry. Comment jouer à la salle de cinéma chez soi dans son salon. On a reçu plus d’une trentaine de carnets, que je publie régulièrement. J’ai reçu récemment un court-métrage fait en stop motion par une jeune femme qui me demandait mon avis. J’étais vraiment bluffé par sa création ; elle n’avait pas besoin de mes conseils, au contraire ! En revanche, je lui ai proposé de programmer son court-métrage en salle, lorsque ce sera possible. De même, pour toutes celles et tous ceux qui participent à ce jeu, je garde leurs contacts pour que nous puissions concevoir ensemble des séances publiques lors de la réouverture des cinémas. Ils seront ainsi pleinement acteurs de l’activité cinématographique de leur ville.