Decision to leave de Park Chan-wook

Obsession

Le réalisateur de Stoker et de Mademoiselle a reçu au Festival de Cannes 2022 le Prix de la mise en scène pour Decision to Leave : le cinéaste sud-coréen signe une romance vertigineuse au cœur d’un thriller sophistiqué.

Le film le plus sensuel et le plus érotique de la compétition du 75e Festival de Cannes est aussi le film le plus paradoxal et étrange. Decision to Leave est une histoire d’amour sans sexe apparent, sans corps-à-corps, sans passage à l’acte. La jouissance prend chair autrement : manger des sushis, se passer un lipstick et adoucir des mains calleuses sont des moments de pure extase.
Decision to Leave n’est pas pour autant une romance platonique, œuvre d’un cinéaste cérébral pervers qu’exciterait la chasteté : c’est l’histoire d’un amour sublimé, tragique et dévastateur, jusqu’à la folie et jusqu’à la mort. Un film sur un absolu désir, sur un affolant désir consumant un homme obsédé par une femme dont le spectateur n’est jamais sûr qu’elle ne le piège pas, qu’elle ne le manipule pas. L’homme et la femme se tournent autour, se frôlent, s’aimantent, puis s’esquivent. Ils s’attirent, se regardent, se désirent, puis se retirent. On les dirait prisonniers d’un palais des glaces et des apparences, condamnés à se mouvoir dans un labyrinthe de verre et à se cogner aux illusions de reflets spéculaires.

Decision to leave - Bac Films

L’histoire d’amour est intriquée dans un récit policier. Dans une grande confusion de sentiments, écartelé entre son devoir et son attirance, le détective insomniaque Hae-Joon (Park Hae-il, vampirisé) est irrésistiblement attiré par une veuve stoïque, la Chinoise Seo-rae (Tang Wei, fatale), soupçonnée malgré son alibi, son vertige, sa peur du vide, d’avoir tué son mari, retrouvé mort au pied d’une montagne. Cette héroïne impassible, impénétrable, en même temps que volontaire et sûre d’elle-même, est une femme insondable qui offre comme une résistance naturelle au jeu social. Elle avance à couvert, mystérieuse, ne dévoilant aucun sentiment évident : vulnérabilité cachée, émotion intériorisée ou absente, qui sait ? Son hermétisme est aussi inquiétant que fascinant : il laisse toute la place aux suppositions, aux projections, aux fantasmes.
Le romantisme noir du film de Park Chan-wook fait évidemment songer à Sueurs froides d’Alfred Hitchcock, film sur l’amour obsessionnel, sur le désespoir et la solitude.
La question de la culpabilité ou de l’innocence de la femme demeure: est-elle une veuve noire criminelle, au narcissisme contrôlé, trompant son monde en se montrant douce, soumise, dévouée au service de personnes âgées ? Park Chan-wook entretient un suspense très maîtrisé, laissant sa brune hitchcockienne à ses ombres, ne mettant jamais à découvert aucune pulsion mortifère qui attesterait sans aucun doute qu’elle a tué son époux. La vérité résiste, les secrets sont épais. Comme dans ses œuvres précédentes mettant au centre du récit une héroïne, Stoker et Mademoiselle, la femme dans Decision to Leave apparaît comme une puissance ambivalente et troublante. L’actrice Tang Wei est éblouissante sous la direction artistique de Park Chan-wook, magistral metteur en scène.

Jo Fishley