Denis Lavant, Céline

Portrait d'un personnage

Au théâtre, il a joué les correspondances de Céline dans Faire danser les alligators sur la flûte de pan. Au cinéma, devant la caméra d’Emmanuel Bourdieu (Louis-Ferdinand Céline, sortie le 9 mars), Denis Lavant se tient sur le fil funambule du clown Céline, l’écrivain monstre.

Écouter Denis Lavant citant Céline :

 

LA RENCONTRE


« D’abord, je me suis méfié. Quand on m’a proposé de jouer Céline au théâtre – la pièce a été créée en 2011 –, il y avait cette polémique sur la célébration ou non du cinquantième anniversaire de sa mort. Il n’y a pas eu d’anniversaire, et les directeurs de théâtre avaient une grande méfiance à l’égard de Céline. Elle est peu à peu tombée, jusqu’à cette consécration de l’an dernier, quand j’ai reçu le Molière du Seul en scène. J’ai joué Céline pendant cinq ans ; je n’ai jamais autant joué un personnage. Je le rejouerai encore, il mûrit. Il m’emmène loin. »


LA FICTION


« Mon Céline au théâtre était un montage de ses lettres sur trente ans de sa vie, sur toute sa trajectoire littéraire. Le matériau était uniquement l’écriture de Céline, sans un mot ajouté. Le cinéma, lui, est une fiction de son exil au Danemark, à un moment de sa vie. Il avait 54 ans, mon âge aussi quand j’ai tourné le film. »


LE MÊME


« Il n’y a pas deux Céline en moi, mais il est plus varié au cinéma parce qu’il est en dialogue avec les autres, dans un huis clos à trois, contrairement au soliloque sur scène. J’ai cherché le même Céline, moins à travers sa posture que son verbe. J’ai abordé ses humeurs et ce que j’ai glané comme dynamique en jouant sur les planches, dans un décor stylisé, m’a permis de comprendre son remuement et de le transposer au cinéma, où apparaît sa fragilité et sa peur d’être dézingué par des communistes. C’est la trajectoire solitaire d’un poète. »


LE RÔLE


« J’essaie d’aller au rôle. Je ne cherche pas à imiter Céline, je veux rester dans l’imaginaire, et je me suis refusé à regarder des documents ou écouter des enregistrements pour retrouver ses intonations, sa voix. Je l’ai déjà vu et entendu, mais je voulais rentrer dans le personnage par le verbe, l’écriture, le jouer avec son humanité déposée dans son style. Je suis au premier degré tout le temps, et même s’il dit des horreurs, je n’essaie pas de finasser avec ça, ces opinions odieuses et irrecevables. »


LE CORPS


« Je suis un acteur physique, qui a commencé par la danse, le mouvement, l’extériorité. C’est après que je suis passé au verbe, au texte. Avec Céline, j’ai eu la possibilité de faire le chemin inverse. Mais le même corps travaille au théâtre et au cinéma. Ce travail sur le corps de Céline avait déjà commencé au théâtre, puisque je le jouais jeune et vieux. J’étais déjà attifé de la même façon, les costumes se ressemblaient, avec la même définition de couleur. »


LE CLOWN


« Je ne suis pas dans un jeu naturaliste. Au fur et à mesure des représentations au théâtre, j’ai cherché le plaisir d’une agitation burlesque. Au cinéma, j’ai commencé par être déstabilisé parce que je n’ai pas la corpulence de Céline, très costaud : j’ai plutôt le gabarit de Chaplin. Dans mon rapport physique avec le personnage de Milton Hindus, qui, lui, est très grand, le film installe finalement une relation très clownesque sans avoir besoin d’en rajouter. Cela crée un effet comique, d’autant que Céline se montre tyrannique et odieux, sans cesse en rupture d’humeurs. »


LE MONSTRUEUX TRAVAILLEUR


 « Être Céline impressionne. Il est ce monstrueux travailleur, comme dirait Rimbaud, qui se carbonise à écrire, à relater, à trouver un style. Tout ce verbe ! Comment porter un tel personnage ? Et comment assumer ses propos, son antisémitisme, son homophobie, sa misanthropie ? Plus je le joue, plus sa parole devient claire. Je partage ce qu’il dit sur son art. L’idée que le verbe a sorti l’homme de son émotion, pour le faire entrer dans la dialectique, les idées. »


LE GRAND HUMAIN


« Je ne suis pas un célinien, mais un acteur qui incarne Céline. C’est quelqu’un qui témoigne d’une hypocrisie humaine et singulièrement de celle d’une époque. Luchini dit le Céline grand écrivain ; il m’intéressait, moi, de montrer ses travers, mais aussi son acuité sur l’humain. Je ne suis pas déférent, pas enamouré, mais en empathie avec ce grand humain plein de contradictions. »