Sibyl

Femmes au bord de la crise de nerfs

Justine Triet envisage Virginie Efira en psychanalyste-écrivaine en pleine tempête mentale dans Sibyl, film ambitieux qui peine à instaurer un climat et des émotions véritables, mais offre un rôle en or à son actrice centrale.

Le film débute par un long plan fixe, au centre duquel Sibyl/Virginie Efira écoute un homme l’assommer d’un aberrant discours sur le monde littéraire tout en avalant des mets japonais. La séquence suscite le fou rire. Et Efira excelle dans l’art de l’écoute, son visage exprimant un vaste éventail de nuances naviguant de la sidération au dépit. Celle que l’on vient de quitter dans la peau d’une autre Sibylle (Continuer de Joaquim Lafosse) et dans un rôle dramatique puissant (Un amour impossible de Catherine Corsini) retrouve un personnage borderline comme sait si bien les dessiner Justine Triet (La Bataille de Solférino, Victoria). Cette Sibyl-là ambitionne de quitter sa fonction de psychanalyste pour se consacrer à l’écriture de romans. Mais l’arrivée d’une nouvelle patiente, comédienne de cinéma, qui s’impose à elle – et qu’incarne tout en intensité explosive Adèle Exarchopoulos -, va propulser la thérapeute dans un monde où fiction et réalité se confondent et où le vertige menace.

Sibyl de Justine Triet. Copyright Les Films Pelléas.

Justine Triet et son coscénariste Arthur Harari tissent un récit complexe, où transgression, jeux de masques, de doubles et de miroirs se mêlent étroitement. L’ambition des auteurs entend nous promener dans l’esprit de Sibyl tout en sondant les arcanes de la création et ses zones troubles. Une première partie, mentale, nous plonge dans son quotidien urbain ; la seconde, plus burlesque, nous embarque sur l’île de Stromboli, où se déroule un tournage chaotique, mené par une réalisatrice gagnée par la crise de nerfs, qu’incarne la géniale Sandra Hüller (Toni Erdmann).

On prend un plaisir certain à suivre cette histoire, où les frontières entre réel et fantasme sont poreuses, où les interdits sont franchis, où la frénésie chorale s’installe. Pourtant, ni grande tension ni émotions fortes n’opèrent véritablement. Comme si ce film ambitieux était lesté du poids de nombreuses références cinématographiques – les fantômes d’Une autre femme de Woody Allen, The Player de Robert Altman, Quinze Jours ailleurs de Vincente Minnelli, par exemple, rôdent alentour. Tandis que l’affiche du film, façon Volte/Face de John Woo, fait la promesse d’un thriller psychologique, le film n’opte pour aucune direction franche. C’est à la fois son audace, sa singularité et sa limite. Si Justine Triet se réclame de Tendres Passions de James L. Brooks pour son hybridation revendiquée, son film, lui, peine quelque peu à trouver un souffle, un élan manifestes. Nous ne craignons pas suffisamment pour ces personnages au bord du gouffre, nous les observons avec intérêt, mais avec distance aussi, dans un entre-deux qui finit par nous placer légèrement en lisière du récit.

Peut-être est-ce dû, en partie, à quelques baisses de rythme dans le montage – par ailleurs minutieux dans son ensemble – et aux trop nombreux sujets contenus dans le scénario, dont celui, très beau, de la transmission des douleurs et des chagrins de mère en fille.

Il demeure que Sibyl offre une belle partition à ses comédiens. Laure Calamy est, comme toujours, réjouissante dans un rôle que l’on aurait aimé voir étoffé. Et Virginie Efira, une fois encore, épate par la palette de son jeu, qui ne cesse de s’élargir. Un prix d’interprétation féminine à Cannes ne serait pas volé !