Hommage à Paul Vecchiali

Un cœur ardent s’en est allé

Paul Vecchiali s’est éteint dans la nuit du 17 au 18 janvier 2023

Je t’en supplie, Amour, cesse de me tourmenter !
Mais n’éteins pas en moi mon plus précieux désir,
Sinon il me faudra fatalement mourir.
Sonnet I, Louise Labé

 

Même si j’ai longuement discuté avec lui quelques jours avant la sortie de son film Pas… de Quartier en avril 2022, je n’ai jamais rencontré Paul Vecchiali. Son cinéma, oui. Une découverte décalée et surprenante, à l’aune de mon jeune âge adulte, où le cinéma de Max Ophuls et surtout celui de Douglas Sirk nourrissaient mes élans romanesques, constamment abattus par le réel dans lequel l’époque me jetait.

Loin des afféteries de certains jeunes cinéastes français branchés apparus au milieu des années 1980, la découverte des films de Paul Vecchiali a fonctionné comme un aiguillon, attisant autant le plaisir que la curiosité. Mais qui est ce cinéaste ? Que ce soit avec Once more en 1988, et surtout Wonder Boy en 1993, où il dirigeait l’extraordinaire Fabienne Babe, je découvrais enfin un cinéma charnel, formel et pulsatif, ancré dans toutes les dimensions de la société française, avec une attention aiguë aux mouvements des corps comme des passions. Encore aujourd’hui, je reste absolument sidérée par l’ampleur de son engagement profond, constant, généreux envers le 7e art. Il habitait le cinéma comme le cinéma l’habitait, dans toutes ses dimensions, de cinéphile à critique, de cinéaste à producteur, d’écrivain à musicien, de monteur à comédien.

Inventif, précurseur, dénicheur, le temps de l’amour (de ses comédiens et du cinéma) semble lui avoir donné bien plus de possibilités de créer que l’industrie ne l’a fait. Il est aisé de taxer d’iconoclaste un cinéaste : c’est une manière de l’exiler sans tout à fait l’éliminer. L’Avance sur recettes lui fut refusée quarante-huit fois entre 1985 et 2014 ; il réalisa alors, avec trois francs six sous, À vot’bon cœur, une farce libertaire où les membres du comité sont tous assassinés un par un.
Mais il avait trouvé assez tôt la parade pour gagner son indépendance. Dès les années 1970, il travailla pour la télévision, ce qui lui permettra de produire les premiers films de Jean Eustache, et en 1975 Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman, tout en créant sa boîte de production Diagonale en 1976. En véritable arpenteur du cinéma français, il a su créer un modèle unique d’indépendance artistique et financière (chacun des cinéastes était en participation,) en produisant de nombreux francs-tireurs comme Jean-Claude Biette, Jean-Claude Guiguet, Marie-Claude Treilhou, Claudine Bories, Noël Simsolo, Tonie Marshall, entre autres.

Fougueux, fidèle, magistralement honnête et solidaire, Paul Vecchiali n’a eu de cesse de découvrir, soutenir, et accompagner celles et ceux en qui il trouvait une lumière unique. Avec un amour constant pour les actrices et les acteurs, il a créé des récits de femmes modernes, libres et lucides. Autant d’écrins pour Danielle Darrieux, son égérie à Hélène Surgère et Sonia Saviange, Nicole Courcel, Françoise Arnoul, Françoise Lebrun, Edith Scob, Catherine Deneuve, Mona Heftre. Mais aussi Michel Duchossoy, Jacques Nolot, Jean Sorel, Michel Delahaye, Jean-Louis Rolland, Julien Guiomar, Patrick Raynal, Albert Dupontel, Pascal Cervo, Mathieu Amalric, Ugo Brousot.

Il était le cinéaste du mélodrame porté jusqu’à sa cruauté, et ses films ne se réclament ni du naturalisme ni de la psychologie, mais d’une intériorité des sentiments, que sa mise en scène, comme sa constante recherche formelle, excellait à mettre en lumière. Compagnon de route de la Nouvelle Vague dès ses débuts, il s’est frotté à tous les genres cinématographiques, explorant et renouvelant son écriture. Son cinéma a souvent été comparé à celui de l’entre-deux-guerres (de Jean Grémillon à Anatole Litvak, mais aussi Sacha Guitry et Jean Renoir) ce qui est en partie vrai, mais pas seulement. Ce qui demeure toujours aussi vif, c’est son côté alchimiste, son souci de trouver la forme juste, celle qui ne peut exister que par et pour le cinéma. Chez ce chorégraphe des affects et des sensations, le cinéma est une expérimentation en constante évolution. Les tourments de l’amour, si douloureux, voire impudiques, illuminent tous ses films, même les plus sombres comme Corps à cœur en 1978, Change pas de main (1975), ce polar pornographique à redécouvrir, ou Encore en 1988, où il tient le premier rôle d’un homme rompant avec sa vie. Sans oublier le tragique En haut des marches (1983) et Femmes, femmes (1974), qui met en scène deux comédiennes ratées et vieillissantes.

Il faut revoir encore et encore ses films, surtout ceux réalisés dès le début des années 2000, où, grâce au numérique et à une nouvelle génération de comédiens (Pascal Cervo, Ugo Broussot, Marianne Basler, Fabienne Babe, Astrid Adverbe, Jérôme Soubeyrant, entre autres), il n’a cessé de créer à une allure assez folle. Il a porté au plus haut les inquiétudes de notre temps, que ce soit la guerre (dans le magistral et prophétique Les 7 Déserteurs) ou les méandres de l’amour ou les ravages de l’extrême droite dans l’ordinaire d’une province française (Pas …de quartier en 2022).
Juste avant de mourir, il laisse un film tourné en un jour,  Bonjour la langue, en hommage à  Jean-Luc Godard et son Adieu au langage. Son dernier projet était de réaliser sa version de La Chienne de Jean Renoir avec Isabelle Huppert.

Merci, cher Paul, de tout cœur.

Nadia Meflah