Retour à Séoul de Davy Chou

Magnétique Corée

Il y a un peu plus de dix ans, à l’occasion de la présentation de son documentaire Le Sommeil d’or au Festival de Busan en Corée du Sud, Davy Chou assistait à un repas entre son amie Laure Badufle, Française d’adoption, et sa famille d’origine. Quelques années plus tard, et après un premier long de fiction remarqué, Diamond Island, il adapte la quête des origines de son amie dans Retour à Séoul. Un film qui nous emmène de surprise en surprise, porté par son actrice principale Park Ji-Min.

Retour à Séoul s’ouvre sur plusieurs scènes nous présentant un personnage haut en couleur, Freddie. Alors qu’elle se rend à Séoul pour la première fois depuis sa naissance, elle crée des liens à une vitesse folle et forge des amitiés en un claquement de doigts. Dans un restaurant, elle devient la cheffe d’orchestre d’une soirée dont elle dévie la trajectoire initiale : elle assemble les groupes de gens inconnus, gère le placement de ses invités pour favoriser le mélange, le tout arrosé par plusieurs bouteilles d’alcool local, le soju. Ces quelques scènes réjouissantes installent parfaitement ce personnage, que l’on suivra durant tout le film. Freddie est imprévisible, capable de la plus grande exubérance, tout en cachant une tristesse et une colère profonde, pouvant affleurer à tout moment. Elle est française par adoption, née en Corée du Sud, et le film accompagne la quête d’identité dans laquelle elle s’engouffre, un peu par hasard.

Davy Chou réussit un tour de force en réalisant ce long-métrage, qui épouse dans sa forme les caractéristiques de son héroïne. Imprévisible ? Il l’est, en sortant du scénario attendu du film autour de la recherche des origines. Retour à Séoul suit sa propre trajectoire, s’autorise des ellipses, une construction en plusieurs parties, fait apparaître et disparaître des personnages au gré des relations spontanées et fragiles que tisse Freddie.

Le film s’amuse aussi à alterner les registres, comme un écho au caractère lunatique de son protagoniste. Ainsi, les premières retrouvailles entre la jeune femme et son père, dont on pourrait attendre une émotion sincère, sont au contraire teintées d’humour noir. Il y a un véritable décalage entre cette Européenne qui va à leur rencontre, presque par curiosité, “juste pour voir”, et cette famille coréenne, qui l’accueille de manière démesurée. Ces attentes différentes créent de la comédie, renforcée par les jeux de traduction entre le français, l’anglais et le coréen.
Cette légèreté, ponctuant délicatement Retour à Séoul, ne l’éloigne pas pour autant de ses enjeux plus sensibles. La musique y est d’ailleurs essentielle, qu’elle soit originale (composée par Christophe Musset et Jérémie Arcache) ou non, elle dépasse l’incompréhension entre les langues et crée des liens émotionnels entre les personnages.

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Afin d’incarner cette héroïne dans toute sa complexité, Davy Chou a fait appel à Park Ji-Min pour jouer le rôle de Freddie. Née en Corée du Sud avant d’arriver en France dans son enfance, elle est artiste plasticienne et ce film marque sa première apparition sur les écrans. Dans Retour à Séoul, elle est de tous les plans et impressionne en composant ce personnage magnétique. Dans sa manière faussement détachée d’appréhender ses relations, amicales, familiales ou encore amoureuses, elle aurait pu paraître antipathique. Pourtant, Park Ji-Min parvient à rompre la glace en s’abandonnant au film le temps de quelques séquences mémorables. Parmi elles, on retiendra deux scènes de danse : une collective, en boîte de nuit, et une autre individuelle, dans laquelle Freddie danse dans un bar, alors que tous les clients sont encore attablés. Dans ces moments suspendus, musicaux, une fois de plus, la caméra isole son héroïne. Nous avons alors le sentiment d’accéder au personnage et d’entrevoir un fragment de son caractère insaisissable et fuyant.
Bien plus qu’un film sur l’adoption, Retour à Séoul, est un film-portrait. En suivant Freddie pendant plusieurs années, il nous offre une longue rencontre avec une personne qui, dans la réalité, n’aurait traversé nos vies qu’un bref instant.

Léo Ortuno