Cannes 2018 : Les Confins du Monde - Croire au mystère

Rencontre avec les comédiens Guillaume Gouix et Lang-Khê Tran

Après Valley of Love et The End, Guillaume Nicloux poursuit sa variation sur les fantômes intérieurs qui hantent les âmes. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, Les Confins du Monde se passe pendant la Guerre d’Indochine, en 1945, et suit l’engagement militaire de Robert Tassen (Gaspard Ulliel) à la recherche des assassins de son frère. Sur le chemin, il fait la rencontre du soldat Cavagna (Guillaume Gouix), qui deviendra son ami, et d’une jeune prostituée indochinoise, Maï (Lang-Khê Tran). Rencontre avec deux personnages pas si secondaires que ça…


 

Qualifieriez-vous Les Confins du Monde de film de guerre ?

Guillaume Gouix : Je le ressens comme un film de guerre sans action. Guillaume Nicloux arrive à montrer l’horreur du quotidien des soldats : ça va de la masturbation en chambrée aux corps démembrés dans la jungle. Il montre l’horreur de la guerre en faisant, peut être, le premier film de guerre avec trois coups de feu. Il y a un côté fantasmagorique, ce n’est pas un thriller psychologique, c’est un film de guerre psychologique.

Et cette guerre a un côté incompréhensible, absurde. Quel est, selon vous, le point de vue de vos personnages sur ce conflit ?

Lang-Khê Tran : Maï subit cette guerre. Elle y a perdu ses frères, et elle va y perdre l’amour.

GG : Il faut dire que les sentiments sont accentués par le contexte. Tout est plus fort. Même l’amour entre Maï et Tassen. Tout est passionné, parce qu’il n’y pas le temps, tout est dans l’urgence.

Il y a la guerre, mais il y a aussi la forêt, qui semble dévorer les personnages. Sur le même thème, Les Confins du Monde évoque Apocalypse Now ou certains films de Werner Herzog...

GG : Oui, ce sont des films où les personnages, en entrant profondément dans la forêt, vont de plus en plus en eux-mêmes… J’ai pas mal pensé à Herzog en préparant le film, c’est vrai.

Quels étaient les autres films évoqués pendant la préparation ou le tournage ?

LKT : Ce n’est pas vraiment la méthode de Guillaume Nicloux. Il ne cite pas grand chose. Il est davantage sur l’instinct. Pour lui, il n’y a pas de psychologie du personnage, il préfère la surprise. Il aime créer de l’accident au cinéma.

Étiez-vous familiers du contexte de la guerre d'Indochine avant de tourner le film ?

GG : Moi, non. Ce n’est pas une guerre dont on parle beaucoup à l’école.

LKT : Moi, un peu, oui. Étant franco-vietnamienne, ça fait partie de mon histoire. Même si, au Vietnam, on en parle pas de cette guerre. C’est tabou. Et puis, comme je suis française, ça installe une gêne quand le sujet est évoqué…

Comment s'est passée la préparation du film ?

GG : Il y a eu d’abord, pour moi et les autres soldats, un gros travail de perte de poids. Parce qu’il fallait que mes joues soit creusées, les corps fatigués. Pour arriver à ça, il y a eu une préparation de près de trois mois, avec un régime alimentaire strict, et beaucoup de sport.

Ça ne vous a pas effrayé ?

GG : Pas du tout, ça m’a même amusé ! Et puis, ça servait le film. Guillaume Nicloux est un cinéaste que j’adore, qui a une vraie vision. Et il fallait que ce qu’il a vu soit ce qui est à l’écran. De toute façon, à partir du moment où on dit oui, on dit oui sans compromis.

Qu'est ce qui vous plaît chez Guillaume Nicloux ?

GG : C’est un cinéaste qui se cherche tout le temps, de film en film. Et il peut tout faire. Il nous fait rire avec Houellebecq [dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq], il met Depardieu et Huppert dans un désert [dans Valley of Love] ou Josiane Balasko en flic [dans Cette femme-là]. Il nous surprend toujours. Et je trouve que les gens qui sont susceptibles d’avoir du génie n’ont pas peur d’être mauvais. Nicloux, il n’a pas peur d’être mauvais. Il n’est pas tiède. C’est pour ça qu’il atteint de grandes choses.

Quel directeur d'acteur est-il ?

GG : Il a plein d’obsessions, mais il partage très peu. C’est quelqu’un de très mystérieux. Il est très précis, mais très secret. Il parle quand il faut, il sait ce qu’il veut.

LKT : Et en même temps, il laisse faire, se laissant la possibilité d’être surpris par le talent des autres – de toute son équipe. Quand je jouais, je faisais les premières choses qui me passaient par la tête, et puis j’ajustais. Mais je ne réfléchissais pas vraiment à la psychologie du personnage.

GG : Oui, il ne demande pas ça du tout, Guillaume. Je pense qu’il aime bien le secret, le mystère.

Il faut dire que ses personnages sont assez mystérieux...

GG : Oui. Dans un contexte assez radical, il crée des personnages qui se cachent derrières des masques pour paraître solides, et que Robert Tassen vient révéler. Il va montrer, presque malgré lui, qui ces gens sont vraiment.

Comment vous êtes-vous retrouvés sur ce film ?

LKT : Je n’avais jamais fait de cinéma auparavant. C’est le directeur de casting qui avait vu une photo de moi sur Internet. Il m’a contactée et m’a dit qu’un réalisateur voulait me rencontrer pour un film. On ne m’a d’abord pas donné plus de précisions. Puis j’ai rencontré Guillaume Nicloux, on a bu un café à Pigalle. Ensuite il m’a envoyé le scénario, m’a demandé de le lire et de l’appeler s’il me plaisait. Je l’ai lu, aimé, et je l’ai appelé. Il a pris alors une photo de moi avec Gaspard Ulliel sur son téléphone, et il m’a proposé le rôle ! Il n’y a eu aucun casting…

GG : De mon côté, c’est un film dont j’ai entendu parler il y a plusieurs années, après la sortie de La Religieuse, en 2012. Il faut dire qu’il a mis du temps à se faire, comme il était très ambitieux. Entre-temps, Guillaume Nicloux a fait d’autres films, mais on s’est beaucoup croisés, et on en discutait. Et puis un jour, il m’a appelé pour me dire que le film allait se faire. Et c’était parti. Je pense aussi que si Aux Confins du Monde est si abouti, c’est parce qu’il l’a fait mûrir avec ses précédents films.

Où avez-vous tourné ?

GG : Au Nord du Vietnam, sur les lieux de la fiction, pendant sept semaines. C’était une expérience géniale à vivre. On était comme des gamins qui jouent aux cow-boys dans une cour de récré. Les tenues, les moustaches, la moiteur… En faisant soixante kilos sous quarante degrés ! Tout était là, y avait plus qu’à y croire.