Seule la terre est éternelle

L'état d'allégresse

Il y a des films qui tombent à pic. Seule la terre est éternelle est de ceux-là.

Tandis que notre monde semble marcher sur la tête et tourne à une cadence infernale (voir à cet égard le très réussi À plein temps d’Éric Gravel, en salle actuellement), voici que sort sur grand écran le portrait documentaire de l’écrivain Jim Harrison, réalisé par François Busnel et Adrien Soland, dont le titre coule comme une rivière.

La Yellowstone River, précisément, traverse ce film à la manière d’un guide qui invite à l’abandon. En son milieu, l’auteur de Dalva ou La Femme aux lucioles s’offre des heures à pêcher le poisson d’eau douce sur son drift boat, son bateau dériveur. Des heures savoureuses d’absolue présence à l’instant. Cette même présence est celle dont il fait preuve lorsqu’il déguste un repas entre amis ou lorsqu’il se raconte à François Busnel, qu’on ne verra pas à l’image. Celui qui anime face caméra chaque semaine depuis quatorze ans l’illustre émission littéraire de France 5, La Grande Librairie, se tient ici à l’écart de l’objectif pour accueillir pleinement celui qu’il lui tient à cœur de faire connaître davantage et dont la parole mérite d’être déployée dans l’espace et le temps.

Seule la terre est éternelle offre à entendre la voix escarpée d’un homme que la vie n’a pas épargné dans son jeune âge, mais qui a su trouver le sentier où tenir debout, développer un appétit vital d’ampleur et le partager. En témoigne son œuvre généreuse, que ce film a le mérite de faire scintiller. Nul panégyrique, encore moins d’exégèse, mais un parfait dosage, où récits et silences se marient à parts égales. De sorte que le spectateur, invité à la table du maître au visage sillonné par le sort, voit croître son désir de plonger dans ses écrits et de s’en faire l’explorateur.

Seule la vie est éternelle de François Busnel et Adrien Soland. Droits photographiques : Copyright Nour Films.

Seule la terre est éternelle est un film traversé par une vibration tranquille. Son montage, au diapason du lent débit de son protagoniste, y est pour beaucoup. Au dos de ses images, un chant d’espérance se fait entendre. D’une part, parce que Jim Harrison, au crépuscule de son existence au moment du tournage, y dit des choses essentielles, qui relèvent à la fois du bon sens terrien et de la philosophie humaniste et spiritualiste. Ce double mouvement perpétuel du sol aux cieux traverse ce film et fait un bien fou. Seul petit regret : ces quelques plans d’ensemble réalisés au drone, technologie supposée restituer le vertige de l’immensité que procurent les grands espaces – ici, ceux du Montana, où vivait l’écrivain -, mais qui, à force de coloniser les images contemporaines de toute part, annihilent la notion même de point de vue indispensable à tout récit. Or, c’est dans ses séquences simples en apparence, ancrées au sol et à hauteur de regard dans un axe savamment étudié, que ce film apaisant et sensible trouve son écho le plus puissant. C’est qu’il s’y raconte des choses merveilleuses, et, mieux encore : il s’y donne à éprouver les bienfaits d’un temps ralenti, d’un quotidien scandé autrement que par d’aberrantes injonctions, dont on connaît tous les effets désastreux.

« Il n’est rien de si précieux que ce temps de notre vie, cette matinée infinitésimale, cette fine pointe imperceptible dans le firmament de l’éternité, ce minuscule printemps qui ne sera qu’une fois, et puis jamais plus », écrivait le très sagace Vladimir Jankélévitch dans Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien. On aurait voulu que le philosophe-musicologue français et l’écrivain-poète américain débattent ensemble de notre rapport au temps, à la nature, à la nourriture, à la succulence des instants éphémères ; de l’allégresse, en somme. Et nous aurions aimé trinquer à cette vie pleine et ralentie avec eux.

 

Anne-Claire Cieutat

À écouter ci-dessous : Entretien avec François Busnel, mené par Anne-Claire Cieutat.