La Fracture

En panne de sens

Plongée en apnée durant une nuit aux urgences d’un hôpital, le film de Catherine Corsini parle des tensions contemporaines sociales et sociétales. Un peu en force, mais jamais en vain.

Dans La Fracture de Catherine Corsini, il est question d’os cassé, mais aussi de liens brisés dans le couple formé par Raf et Julie (Valeria Bruni Tedeschi et Marina Foïs) et de différences sociales ressemblant à des gouffres. Lorsque la première se retrouve avec le coude en écharpe après une dispute et une poursuite dans la rue, la seconde la rejoint aux urgences. Tandis que les allées et venues incessantes réclament l’omniprésence des infirmières, aides-soignantes, sur le brancard voisin de celui de Raf en demande constante d’attention, Yann (Pio Marmaï), gilet jaune qui s’est fait tirer dessus par la police en pleine manif, devient un interlocuteur coriace. 

Catherine Corsini (La Belle Saison, Un amour impossible) nous fait plonger en apnée durant une longue nuit sans fin dans la folie d’un hôpital public sous tension, tandis que dehors de sévères répressions policières contre les manifestations des gilets jaunes font rage. Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs, et  Pio Marmaï font très très bien leur boulot d’actrices et d’acteur et la mise en scène assure avec rapidité l’organisation du chaos. Et, même si la volonté de mouvement perpétuel finit par être voyante, le message politique, mâtiné d’une comédie de situation drolatique, fait tout de même mouche. 

La Fracture de Catherine Corsini. Copyright CHAZ Productions.

Pourtant, par moments, quelque chose nous manque, de l’ordre du « vrai ». Et soudain, on comprend : en l’absence d’un certain visage, la fiction fonctionne moins bien. Au sens où elle fait trop « fiction », justement. Cette femme, Kim, qu’on a vue au début prendre son service pour une sixième garde de nuit consécutive, évoquer son bébé malade et son mari énervé, cette femme, à chacune de ses apparitions, même fugaces, fait affleurer quelque chose de différent, d’essentiel et d’unique. Elle s’appelle Aïssatou Diallo Sagna, elle est aide-soignante dans la vie et a passé par hasard le casting en croyant postuler pour une figuration. Elle est infirmière dans le film. Jamais en force et pourtant si présente, juste dans chacun de ses gestes et dans son être tout entier. Dans son émotion aussi, qui clôt le film et, d’une certaine façon, le sauve. Elle est l’essence de cette histoire. Un miracle. Une apparition. Ou plutôt, comme le disait Fabienne Tabard à Antoine Doinel dans Baisers volés de Truffaut, « une femme exceptionnelle, comme le sont toutes les femmes, chacune à leur tour ».