Le nouvel opus de Jacques Audiard est un film en noir et blanc sur la jeune génération, porté par des acteurs plus vrais que nature. Naviguant entre vivacité et désordre, le réalisateur sonde les nouvelles conventions de la vie amoureuse. Un film vif, interrogatif et instructif.
Quatre Parisiens vivant ou se croisant dans le quartier moderne et multiculturel des Olympiades. Des trentenaires d’aujourd’hui, en quête d’amour, entourés d’écrans, à peine sortis de l’adolescence. Des narcisses si caractéristiques de l’époque : Camille (Makita Samba) est prof, malicieux, indépendant, conscient du monde et du système auquel il appartient. Bref, on ne la lui raconte pas. Il sort avec sa colocataire, Émilie (Lucie Zhang). Celle-ci se laisse vivre, un peu résignée, mais pas trop inquiète de collectionner les petits jobs ; elle évite surtout les contraintes familiales. Parallèlement, Nora (Noémie Merlant) reprend des études à Paris après les souffrances d’un passé chaotique, puis change de voie, rejoint une agence immobilière. Elle y embauche Camille, qui s’amourache d’elle, mais Nora est captivée de son côté par une « cam-girl », Amber Sweet (Jehnny Beth), une prostituée qui lui ressemble étrangement et l’attire via son écran d’ordinateur…
Jacques Audiard, cinéaste ultra-récompensé – entre autres : César du meilleur film pour Un prophète (2010) et De battre mon cœur s’est arrêté (2006), Palme d’or pour Dheepan (2015) – a choisi de prendre le contre-pied de son œuvre précédente Les Frères Sisters (2019). Il nous plonge dans une histoire urbaine, volontairement basée sur les dialogues et dans l’espace restreint du 13e arrondissement, graphique et stylisé par le noir et blanc. Le réalisateur a été séduit à l’origine par les personnages de paumés de trois nouvelles d’Adrian Tomine, auteur américain de bande dessinée, avec en ligne de mire l’esthétique de Manhattan de Woody Allen. Parallèlement, il a souhaité poursuivre la démarche du questionnement amoureux de Ma nuit chez Maud d’Éric Rohmer, qui a fortement résonné en lui. Or, si l’on se souvient que chez le doyen de la Nouvelle Vague, le spectateur suivait, dans un cadre ascétique, une conversation sans fin sur le désir entre un homme (Jean-Louis Trintignant) et une femme (Françoise Fabian), cinquante-deux ans plus tard et à l’heure des applications de rencontres sur smartphone, les filles et les garçons couchent ensemble sans faire un usage impérieux du verbe.
Dans Les Olympiades, Jacques Audiard, soutenu au scénario par Léa Mysisus et Céline Sciamma, examine les comportements de ces jeunes à l’aune de cette nouvelle norme, le sexe prévalant sur les mots, l’union charnelle étant vécue comme un préalable à une relation. La manière très subtile avec laquelle le réalisateur capte le naturel et la sensualité de ses acteurs révèle particulièrement la confiance qu’il a placée en eux : le jeu vise la fluidité et la célérité sans filet, comme sur une scène de théâtre. Par ailleurs, Audiard reconnaît s’exempter ici de « direction d’acteur », laissant pendant le tournage beaucoup de libertés à sa troupe, des témoins directs de leur époque.
Cette incarnation donne tout au long du film une intense sensation de fraîcheur, confinant à une forme d’insouciance. L’idée est d’autant plus touchante que cette génération semble attaquée de toutes parts, subissant les affres de l’urgence climatique en même temps qu’elle est victime d’une altération du regard et de son jugement – en somme, du réel -, sous l’emprise des écrans. Leurrée par la toute-puissance de son propre reflet (l’un des leitmotivs du film), déviée par l’accumulation et les dangers des commérages et de l’intox. La vision d’Audiard dans Les Olympiades est ainsi à l’image d’un culbuto qui balancerait sans cesse entre l’inquiétude et le désarroi, l’énergie et la passion.
Olivier Bombarda