Les petits riens et les presque tout #5

FIN ?

Quand le cinéma et la vie quotidienne se mêlent l’un à l’autre… 

 

C’est devenu une ritournelle. Depuis deux semaines ne se passe pas un jour sans que mon fils ne répète cette phrase « C’est horrible, on a fini Anne With an E et il n’y aura même pas de quatrième saison ». J’ai beau l’exhorter à prendre de la hauteur, rien n’y fait, mon adolescent de 14 ans répète ces mots comme d’autres des mantras. 

Hier soir, en saisissant un Kleenex, j’ai réalisé que c’était le dernier d’une boîte de 250. Précisément au moment où je constatais que l’emballage était vide, mon fils a prononcé sa rengaine. Arrêt sur image. Une seconde et demie pour prendre conscience que ce contenant inscrit dans mon paysage domestique depuis plusieurs mois avait achevé sa mission. On avait fini par croire cette boîte en carton dotée de ressources infinies.

Cette même illusion est sans doute celle sur laquelle reposent les séries. Tant et si bien que, lorsqu’elles s’achèvent et que le dernier épisode vient rompre un rituel quasi quotidien installé au fil des semaines (car non, on ne « binge-watch » pas sous notre toit !), un léger deuil est à faire. C’est ce que mon fils a du mal à intégrer actuellement, pour une raison mystérieuse qui lui appartient.

Au cinéma, le principe est autre. Les films américains classiques finissant par « The End » sont légion, à commencer par certains Chaplin. Les récits merveilleux introduits par « Il était une fois » s’en servent aussi pour nous aider à regagner le sol à l’issue du voyage.

Les 2 Alfred de Bruno Podalydès, dont on espère bientôt la sortie en salle et dont BANDE À PART est partenaire, se clôt sur le mot « FIN ». C’est suffisamment rare dans le cinéma français contemporain pour être souligné. D’autant plus qu’il s’agit d’un des films les plus ancrés dans notre temps de son auteur. Dans l’indispensable revue Positif, il s’en explique : « Pour la première fois, je me suis servi du mot « FIN » pour clore Les 2 Alfred. « FIN », c’est la fin de l’histoire et il faut l’accepter. L’illusion de la série télé, c’est de croire que les choses sont sans fin, qu’il y aura une saison sept, huit, neuf… en un continuum hyper-rassurant, quasi enfantin. L’apprentissage d’une histoire, quand on est enfant, c’est aussi celui du mot « FIN ». La dernière page du livre qu’on referme ou le générique d’un film peuvent être déchirant. Il y a dans cette émotion finale l’essence même du cinéma. »

En 1985 est sorti un film qui a marqué toute une génération de spectateurs : L’Histoire sans fin de Wolfgang Petersen. La petite fille que j’étais a vécu avec lui une expérience métaphysique d’une rare intensité. Le jeune héros de cette histoire entrait en résonance avec le monde fantastique d’un livre dans lequel il s’immergeait. La frontière entre la fiction et le réel y devenait poreuse et le va-et-vient entre ces deux univers se faisait constant, tant et si bien que la magie du film (qui, hélas, a mal vieilli…) irradiait bien encore après l’issue de la projection. L’immense impact de ce film sur le jeune public de l’époque raconte sans doute quelque chose du rapport au temps qu’entretenaient alors les enfants. L’un de nos enjeux éducatifs consiste à leur faire prendre conscience de la finitude des choses, des ressources de la planète comme de nos existences, et que c’est précisément cette impermanence qui donne sa saveur à la vie… Mais peut-être faut-il aussi prendre soin de laisser ouverts quelques interstices dans cette vision existentielle afin que nos bambins y glissent leurs croyances propres. Car ces petites histoires qu’on se raconte secrètement, et que viennent nourrir certains films et séries, nous aident aussi à tenir debout et à avancer. À tous âges.