Julie se tait de Leonardo Van Dijl

Le grand chemin

Leonardo Van Dijl imprime sa marque avec son premier film long, au propos fort et à la maîtrise rare. Ce parcours minutieux de la renaissance d’une jeune sportive abusée happe par sa méticulosité bienveillante.

Impressionnant premier long-métrage, révélé à la dernière Semaine de la Critique à Cannes. Julie se tait saisit par sa force de frappe. Si l’héroïne-titre reste taiseuse, sa présence constante raconte beaucoup, et le film est riche de sens. En une heure et demie, il immerge le public dans une portion de vie dont il ne ressort pas indemne. La particularité de cette expérience immersive est d’assister en direct à une prise de conscience progressive, à une réappropriation de soi, à une résilience en marche. Proposition cinématographique singulière, tant les récits d’abus privilégient souvent de traiter frontalement ledit abus, ou par l’angle de la défense, de la vengeance, ou du processus judiciaire. Leonardo Van Dijl choisit de coller à une protagoniste qui entend, écoute, perçoit, devine, intègre, digère, et vit une compréhension a posteriori, à son rythme et en silence. L’injonction collective est de parler, mais Julie ne peut pas faire autrement que se taire, et sa réserve force à la regarder et à l’écouter autrement. L’ingéniosité est de ne pas associer parcimonie verbale et isolement. La jeune tenniswoman vit, s’entraîne et fait corps avec les autres.

La préadolescente de son court-métrage Stéphanie, révélé au Festival de Cannes 2020, était une brillante gymnaste de onze ans. Leonardo Van Dijl filmait déjà au cordeau la discipline et l’autodiscipline de fer, la résistance dans la douleur physique, la volonté de mener à bien sa mission d’athlète, et l’avancée dans la rétention verbale. Ici, la joueuse de tennis suit une même ligne décidée, mais elle a gagné en maturité, et elle n’est pas seule. L’ultra-précision de l’écriture et de la mise en scène accompagne cette fille de son temps. À la fois comme les autres et à part, par sa vie dédiée à l’excellence sportive. La singularité du regard tient à l’absence de jugement. La caméra devient témoin du cheminement de Julie, et alliée bienveillante sans pathos, toujours à la bonne distance. L’abus se devine, par le questionnement du personnage et ses recherches, par son entrevue avec son entraîneur, par sa reconnaissance finale à sa directrice de club. La finesse d’exécution et la pudeur décuplent l’effet produit.

Le cinéaste a eu de l’instinct en choisissant son actrice, véritable as de la terre battue et douée d’une présence saisissante. La compréhension intérieure de Tessa Van den Broeck transcende son incarnation, sans une once de performance forcée. La place de l’objectif, les plans fixes, le montage, l’utilisation de la musique de Caroline Shaw, tout relève d’un dosage minutieux et puissamment signifiant. Tout comme le soleil, la nature, et l’ouverture au monde réchauffent progressivement le monde de Julie, avec méticulosité et assurance. La très belle nouvelle de ce premier long est aussi de témoigner d’un sujet de société sans en faire un film à dossier, mais en atteignant son but par l’accomplissement artistique. Et de révéler un jeune réalisateur à la précision démente, sans qu’il étouffe son sujet, ni l’émotion en jeu, organique. Elle rejaillit une fois le générique fini. Julie se tait infuse dans les regards. Dans les tripes. Dans l’esprit. L’héroïne palpite, elle est bien vivante.