Entretien avec Christine Beauchemin-Flot, directrice du Cinéma Le Sélect à Antony

« On attend en trépignant… »

Directrice/programmatrice du cinéma le Sélect d’Antony, Christine Beauchemin-Flot s’apprête à rouvrir ses quatre salles le 15 décembre. Et c’est peu dire qu’on croise les doigts…

 

Quel est votre état d’esprit ?

Du point de vue de l’exploitation, on ne fait pas notre métier en ce moment, et du point de vue de la programmation non plus : on ne peut rien partager, ni avec nos spectateurs ni avec nos collègues. De plus, au bout de deux confinements, les autres formes de « visionnage » ont tendance à se généraliser. Or la salle de cinéma est LE lieu par excellence où découvrir les films.
Sur les trois premières semaines du confinement, avant le deuxième discours présidentiel, j’ai été effrayée que le mot « culture » ait disparu de la langue gouvernementale… Comme il a réapparu depuis, la perspective de la réouverture, si les conditions sanitaires le permettent et en espérant ne pas être de nouveau échaudés par les annonces du 10 au soir, est une excellente nouvelle, pour nous professionnels comme pour les spectateurs. On s’y accroche et on attend le 15 décembre en trépignant.

D’où vient votre amour du cinéma ?

Je suis née dedans, j’ai baigné dedans, le cinéma est ma seconde peau. Mon père, Yonnick Flot, est critique et il m’a emmenée dans les projections de presse à un âge précoce. À partir de neuf ou dix ans (j’en ai aujourd’hui 56), j’ai rêvé et grandi avec les films. J’aimais l’immersion que me proposait le cinéma, l’idée de rentrer complètement dans un univers, de découvrir des choses et des mondes. Il y a des pays où je ne suis jamais allée, mais que le cinéma m’a fait connaître : le Japon, par exemple, Ozu m’y a emmenée très jeune et j’y retourne régulièrement depuis, notamment avec Hirokazu Kore-Eda

Quelle est votre ligne éditoriale au Sélect ?

Le Sélect est une salle municipale de quatre écrans (643 places en tout), classée Art & essai, labellisée Recherche, Découverte, Patrimoine, Jeune Public et membre d’Europa Cinéma. Nous ne sommes pas à 100 % Art et essai, mais plutôt à 75 %. Et ces 25 % à dimension généraliste, non seulement je les assume, mais je les revendique. Antony est une ville de 60 000 habitants, et en tant que salle municipale nous avons une mission de service public. Je programme donc des films grand public, que d’aucuns appellent « un petit pas de côté ». La multiprogrammation permet de proposer parfois jusqu’à 12 films différents par semaine, et j’aime cette idée de la diversité, de la pluralité des propositions. Quand je programme Poly de Nicolas Vanier, je ne vais pas forcément vers mes goûts, mais je pense aux grands-parents qui ont grandi avec le feuilleton et aux petits, dont je continue à croire et espérer qu’ils sont les spectateurs de demain. Et ça fonctionne formidablement. Quand je choisis Adieu les cons d’Albert Dupontel, l’humour décalé me touche et me séduit et j’ai envie de partager ce film mélancolique, qui s’ancre aussi dans une réalité et suscite un débat de fond. Lorsque le public adhère à une proposition moins évidente, comme par exemple Michel-Ange, c’est un vrai plaisir : on a l’impression de servir à quelque chose. Notre mission n’est pas seulement de donner aux spectateurs un objet, mais de partager les œuvres avec eux, par des animations, des rencontres, des débats, des passerelles avec des associations locales. C’est un acte réfléchi, engagé, subjectif, mais assumé. Et, clairement, on transmet mieux sur ce qu’on aime.

Qu’avez-vous appris de la réouverture du 22 juin dernier ?

Il y a eu une longue période de flottement, faite d’incertitudes et de désarroi, alors qu’aujourd’hui on a des éléments de comparaison et quelques réponses. Nous avons fermé le 29 octobre dans un élan revigorant et porteur d’espoir, malgré le couvre-feu : le désir des spectateurs était bien là.
La semaine de fermeture, qui, je le rappelle, a duré deux jours, nous avions huit films à l’affiche : ADN, Garçon chiffon et Une vie secrète en sortie nationale ; et, en deuxième semaine, Michel-Ange, Adieu les cons, Petit Vampire, Poly, et La Chouette en toc. Et nous avons réalisé en deux jours 1189 entrées. La précédente, avec 7 films, nous avions totalisé 4399 entrées, ce qui correspond à un recul de 32 % par rapport à 2019, mais constitue notre meilleure semaine depuis la réouverture, et malgré le couvre-feu. Semaine pendant laquelle nous avons maintenu les habitudes avec un programme hebdomadaire imprimé (et non plus mensuel, étant donné les changements constants) et même une rencontre publique avec David Dufresne pour Un pays qui se tient sage. C’était donc extrêmement encourageant. Reste à savoir si la fermeture a coupé ou pas cet élan… Le 15 décembre, je reprends tout ce que j’avais à l’affiche pour continuer le travail commencé et j’ajoute Mandibules de Quentin Dupieux et Le Peuple Loup, magnifique film d’animation de Tomm Moore et Ross Stewart.

Quels sont les films qui vous ont portée ces derniers temps ?

J’ai été emballée par la vision de l’adolescence de Gagarine de Fanny Liathard et Jérémy Trouilh, ce décor étonnant qui est comme un personnage, cette forme originale. Et j’aime énormément L’Origine du monde de Laurent Lafitte, dont je sais qu’il divise, mais j’aime son audace dans le sujet et le traitement. Drunk de Thomas Vinterberg m’a conquise par son énergie positive et communicative, sa dimension humaine. Dans mon programme, j’attribue un « coup de cœur » et Drunk l’a eu assurément ! Calamity de Rémi Chayé, Effacer l’historique de Kervern et Delépine ou Été 85 de François Ozon, sont mes coups de cœur récents. Pour ce dernier, nous avons organisé deux rencontres avec Félix Lefebvre qui est Antonien, l’une avant la fermeture estivale (où Ozon nous a fait la surprise de rejoindre son comédien) et l’autre à la reprise, c’est une façon de prolonger le travail commencé. Et c’est ce que nous allons faire en accueillant Nicolas Maury pour une séance de Garçon chiffon, que j’aime beaucoup, lors de la réouverture le 15 décembre.