Pourquoi fait-il bon s’immerger dans Anne With an E ?
Il y a des œuvres qui mettent en joie et cette série canadienne méconnue en France, disponible sur Netflix, en fait partie. En trois saisons, la scénariste Moira Walley-Beckett adapte le classique de la littérature enfantine Anne… la maison aux pignons verts (Anne of Green Gables) de Lucy Maud Montgomery (publié en 1908). Pourquoi la signataire de ces lignes et sa famille ont-elles vibré d’un bout à l’autre de ces vingt-sept épisodes, malgré quelques facilités d’écriture, un personnage dont le curseur intérieur ne bouge jamais, un autre laissé en plan à la fin, et des flash-back à l’esthétique malheureuse ?
Reconnecter avec son âme d’enfant
La petite héroïne de cette histoire, qu’incarne avec une fraîcheur et un enthousiasme absolus la formidable Amybeth McNulty, est une orpheline à la rousse chevelure. Adoptée par un homme et une femme, frère et sœur, qui tiennent une ferme à Avonlea, sur l’Île-du-Prince-Édouard, à la fin du XIXe siècle, elle fait preuve d’un tempérament très enthousiaste, voire exalté, regarde le monde avec gourmandise et exprime ses pensées et sentiments dans un flot de paroles à la spontanéité déconcertante. Anne a 13 ans au début de la narration et un peu de plus de 16 vers la fin. Son âme d’enfant, prompte à s’émerveiller de la moindre brindille qui sort de terre, vibrionne à l’état constant et nous reconnecte à notre propre enfant intérieur. Son énergie vitale est contagieuse !
Une ode à l’imaginaire, au pouvoir de la littérature
Cette enfant précoce entretient un lien très étroit à la littérature et aux mots, tout en faisant preuve d’un grand sens pragmatique. Son imagination débordante la sauve et participe fortement à sa faculté de résilience. Anne invite ses amies à activer leur imaginaire, et indirectement les spectateurs de cette série : inspirons-nous-en et proposons à nos enfants de lui emboîter le pas…
Une ode à l’égalité des sexes et au droit à la différence
L’adaptation de Moira Walley-Beckett prend le parti des femmes, de leur lutte pour l’égalité et l’indépendance. Elle met aussi l’accent sur les horreurs de la ségrégation raciale et la difficulté à vivre leur homosexualité pour trois personnages (une femme, deux hommes, de trois générations distinctes). Quant à la très vive Anne, qui ne ressemble à personne dans ce petit village rural du XIXe siècle, elle lance un pavé dans la mare. Son combat et celui de quelques autres personnages autour d’elle (dont une formidable institutrice jouée par Joanna Douglas) résonnent fort actuellement.
Une ode au progrès
Quand bien même l’action se situe il y a plus d’un siècle, les personnages progressistes de cette histoire en sortent grands vainqueurs. Gilbert, notamment, pressent la possibilité d’une médecine holistique, l’institutrice Miss Stacy adopte des méthodes d’enseignement révolutionnaires pour l’époque – mais toujours inspirantes aujourd’hui – et Anne a tout d’une visionnaire en devenir. Sous les dentelles des costumes d’époque, c’est bien une ode à la liberté et à l’innovation qui se fait entendre.
Une ode à la nature, aux saisons, au temps ralenti
Anne With an E nous reconnecte à un temps où il fallait plusieurs jours pour se rendre d’un village à l’autre en carriole, et des semaines pour rejoindre une contrée lointaine en bateau. Les saisons y sont très marquées, d’autant que la vie quotidienne des personnages est intimement liée aux récoltes. Anne entretient une relation animiste au monde, parle aux arbres, aux fleurs, aux animaux (mention spéciale au magnifique renard au regard intense qui fait son incursion ça et là). Ce lien retrouvé à la nature et au temps ralenti a quelque chose de vertueux et d’apaisant au milieu de cette tempête que nous traversons actuellement. S’immerger en plein automne dans l’habitat sobre et soigné de la famille Cuthbert (on pense aux intérieurs peints par Vilhelm Hammershøi), qui sait honorer la nature nourricière, et dans les grands champs et forêts que parcourent Anne et ses amies, nous met en phase avec le récit et procure une sensation d’évasion bienvenue en plein confinement…
Cœurs intelligents
C’est sans doute LA raison qui nous fait vibrer de joie face à cette série : une grande intelligence de cœur relie nombre de personnages. Anne, Gilbert, Matthew, Marilla ou Sebastian en font preuve, autant que de tendresse et de compassion. Un vent d’humanisme souffle, l’air de rien, sur cette série hautement recommandable !