Les petits riens et les presque tout #1

Le son du café, l'oie et Alain Resnais

Quand le quotidien et le cinéma se mêlent l’un à l’autre… 

 

Mon affection prononcée pour les sons du quotidien s’est renforcée depuis le début du confinement. La stase ayant gagné nos villes de manière si stupéfiante, leur relief s’est accentué et a rendu plus précieuse encore la manifestation des gestes humains, domestiques ou voisins. Ainsi en est-il du son qu’émet ma machine à café, avec laquelle j’entretiens un rapport relativement étroit. Passées ses vocalises anarchiques à l’allumage, elle tient une note stable (un presque sol, m’a expliqué un ami musicien) le temps que le café s’écoule. Ce moment, allez savoir pourquoi, me procure une joie imprenable (pour faire écho à un titre de Lytta Basset – beau livre). Peut-être parce qu’il inaugure un jour nouveau, qu’il active la présence à soi et au monde ; et à sa manière, qu’il nous souhaite « bonne journée ». Hier, un phénomène inédit s’est produit : lorsque ma tasse fut pleine, j’ai cherché le bouton « merci ». « On gagne toujours à donner aux objets familiers l’attention qu’ils méritent », écrivait Gaston Bachelard dans La Flamme d’une chandelle. On ne pèche sans doute pas par excès de courtoisie.

 

Il y a peu, j’ai confié mon affection pour le son du café qui s’écoule le matin au réalisateur Laurent Herbiet (Mon colonel, 2006), qui fut le premier assistant-réalisateur d’Alain Resnais sur Pas sur la bouche et Cœurs, puis son coscénariste sur Les Herbes folles, Vous n’avez encore rien vu et Aimer, boire et chanter, son dernier film. Laurent Herbiet m’a raconté les heures savoureuses qu’il a passées aux côtés de ce cinéaste si inventif et a évoqué la passion que Resnais entretenait, lui aussi, pour sa machine à café, et en particulier, pour son mode d’emploi. Le réalisateur d’On connaît la chanson, m’expliqua-t-il, accordait toujours une importance certaine aux notices des engins en sa possession et respectait scrupuleusement les recommandations du fabricant. Il me raconta aussi qu’il posait un regard émerveillé sur Internet (il se demandait toujours vers quels cieux partaient les pages une fois qu’elles avaient quitté l’écran !), et qu’il était très curieux des séries télévisées contemporaines, comme 24 heures chrono, par exemple.  

 

Le sachant si attentif aux stigmates du monde moderne, j’aurais aimé que Resnais soit encore vivant et qu’il lise la copie d’une de mes étudiantes, à qui j’ai fait découvrir les formidables Smoking / No Smoking lors du TD que je lui consacre au département cinéma de l’Université de Strasbourg. Ces films – dont le visionnage en ces temps confinés est hautement recommandé – lui ont fait spontanément penser à un jeu vidéo australien, sorti en septembre dernier, dont le principe consiste à contrôler le déplacement d’une oie qui importune des humains. La bande-annonce de ce jeu, dont la partition au piano évoque lointainement celle de John Pattison dans Smoking et No Smoking, serait-elle un clin d’œil ? Oui ou non, peu importe. La comparaison de mon étudiante a fait ma journée. Resnais aurait eu cent ans dans deux ans. Gageons qu’il aurait souri, lui aussi.

 

P.-S. La plate-forme Mubi donne à voir plusieurs classiques d’Alain Resnais actuellement.