Comment ça va, les cinéastes ?


Trois questions à Samir Guesmi

Comment celles et ceux qui réalisent vivent l’absence de grand écran ? À l’heure où les salles de cinéma sont fermées, où certaines sorties de films ont été écourtées ou annulées, en attente d’une date ultérieure, et où le processus de création est impacté, BANDE À PART prend des nouvelles de jeunes cinéastes.

 

Comédien, solide et insolite, depuis la fin des années 1980 (Ne le dis à personne, Camille redouble, L’Effet aquatique), Samir Guesmi a réalisé un premier court, C’est dimanche ! en 2008. Il y scrutait déjà avec émotions les rapports d’un fils et son père. Douze ans plus tard, il nous offre Ibrahim, bouleversant face-à-face qui dit la pudeur, l’illettrisme, la pauvreté, le rapport à la France, l’incompréhension. Et l’amour immense…

 

En raison de la pandémie de Covid 19, le parcours de votre premier long-métrage, Ibrahim, qui n’est toujours pas sorti, a connu bien des détours depuis un an...

Déjà, le fait que ce film soit fini — alors qu’il était un peu difficile à faire, sans vedettes, sur un fil narratif ténu­­ — était super heureux. Les quelques personnes qui l’avaient vu commençaient à en dire du bien. Là-dessus, mon producteur m’annonce en avril 2020, pendant le premier confinement, que mon film est dans la short list de la Quinzaine des Réalisateurs et la Semaine de la Critique. Et soudain, Thierry Frémaux demande à le voir et, en même temps qu’on apprend que le Festival de Cannes n’aura finalement pas lieu, on découvre aussi qu’Ibrahim est en « Sélection officielle ».
C’est génial de faire partie de ce club hyper sélect que le monde entier convoite, mais c’est la fête sans musique. Et même, pas de fête du tout… On se pose des questions avec mon producteur Pascal Caucheteux (Why Not) et mon distributeur Jean Labadie (Le Pacte), finalement on emprunte ce train-là. Le film est programmé pour une sortie le 9 décembre, Le Pacte est à fond, et les réactions aux premières projections de presse sont bonnes.

Paré du label cannois, Ibrahim se taille la part du lion « en présentiel » à Angoulême, où il a remporté trois prix...

Quatre ! Le Grand Prix, celui du scénario, la mise en scène, et la musique pour Raphaël Eligoulachvili. À cause de moi les règles ont changé dans ce festival : désormais, les cumuls sont interdits ! Je me sens comme un gamin hyper gâté. D’autant qu’avant il y a eu le congrès des exploitants à La Rochelle : une salle remplie (au maximum de la jauge réglementaire) par des professionnels qui rêvent de voir le film, qui ne pensent qu’au cinéma, qui aiment les films d’auteur… Il faut le vivre pour le croire : je suis comme un drogué, je plane complètement, c’est super. Je découvre la difficulté que c’est pour eux de faire ce métier, surtout par temps de Covid après trois mois de fermeture, et je prends rendez-vous avec tout le monde pour aller présenter le film dans les salles.
En amont de la sortie du 9 décembre, il y avait un programme d’un mois d’avant-premières, qui démarre au Méliès de Montreuil début septembre, et se passe magnifiquement. Bref, je commence à me consoler de Cannes. Et patatras, couvre-feu dans plusieurs grandes villes, il faut reprogrammer des séances à 16 heures, mais l’envie est là, les exploitants s’organisent, le public est au rendez-vous. Et puis, le 29 octobre 2020, c’est le deuxième confinement, tout s’arrête. C’est dur, mais je me dis que ce n’est que partie remise, il me semble que c’est bien plus dur pour les films qui sont sortis trois jours seulement, comme ADN de Maïwenn…

À ce moment-là, la profession pense que les salles vont rouvrir en décembre, que donc Ibrahim va pouvoir sortir à la date prévue ou une semaine plus tard, les projections de presse sont maintenues…

Et là, les annonces sont foireuses, on nous laisse croire des choses qui n’arrivent pas. Comme si personne ne prenait en compte ce que c’est que de sortir un film : le travail, l’énergie, l’argent. On est tous dans le même bateau, c’est impossible de se projeter. Pourtant, Ibrahim est sélectionné au Festival Premiers Plans d’Angers, et sa sortie est envisagée au 3 février avec des avant-premières en janvier. Et c’est le retour du couvre-feu à 18 heures, l’annulation d’Angers, qui a lieu « en ligne » et où Ibrahim remporte le Grand Prix. C’est génial. Mais la conjoncture commence à être très compliquée. Tout le monde morfle, c’est une évidence ; dans le secteur du cinéma, les attachés de presse, les distributeurs, les exploitants n’en peuvent plus. Personnellement, j’ai de la chance ; le fait d’avoir réalisé un court et un long a attisé mon désir de recommencer, j’écris un peu, au jour le jour, je gribouille des idées. Je ne me sens pas scénariste au sens où je ne programme rien, je n’ai pas une liste d’histoires à raconter, mais l’envie est là. Et puis, je me remets à tourner comme acteur, pour le cinéma et pour la télévision. Le plateau, c’est vraiment l’endroit où j’aime être.