Ibrahim

La pudeur et la chapka

Samir Guesmi passe à la mise en scène de long-métrage, et signe un portrait délicat et profond, au pays de la débrouille et de la résilience. Ibrahim sortira enfin au cinéma le 23 juin prochain.

 

Pour son premier long-métrage comme auteur-réalisateur-interprète, l’acteur Samir Guesmi reprend les grandes lignes et le prénom du protagoniste juvénile de son émouvant court-métrage C’est dimanche !, filmé en 2007. Mais cette fois, il joue dedans et incarne le père, Ahmed, au lieu du regretté Djemel Barek, ici présent en adjoint de magasin. Le bon moyen pour accompagner de l’intérieur son partenaire novice dans le rôle-titre : la révélation Abdel Bendaher, tout en finesse. Le film est centré sur ce personnage d’adolescent, et sur sa relation avec son paternel. Deux hommes, deux pudeurs, et un lien dense. Entre les deux, la mère, absente, morte. Sur ce terreau bouleversé se construit une œuvre simple, subtile et émouvante. Où tout fait sens par les suggestions sur l’écran : accessoires, objets, gestes : un tee-shirt « I love NY » de la défunte, porté par le fils, un cendrier débordant de mégots, un inconnu conseillant une attitude à distance, ou une gifle annonçant une caresse.

Ibrahim de Samir Guesmi. Photo : Anne-Françoise Brillot.

Avec sa durée courte, son intrigue ramassée, ses dialogues centrés sur l’essentiel, Ibrahim ne joue pas des coudes pour impressionner. Tout comme l’image menée par Céline Bozon, qui décline finement la gamme chromatique des gris et des bleus, creuse les ombres, et mêle rudesse et délicatesse sous le ciel de Paris. Il n’est pas question d’enjolivement dans ce portrait d’un garçon qui regarde. Affublé de sa chapka, Ibrahim observe en retrait, teste les situations, suit souvent, puis va agir lui-même pour tenter de réparer les erreurs et injustices répercutées sur Ahmed. Avant de trouver, qui sait, l’amour. La visée du cinéaste est de rester à hauteur de ses personnages, et de leur tendresse retenue par les injonctions sociales, matérielles, et par le déterminisme. Il célèbre la dignité d’humains qui font tout pour rester debout. Ils sont grands, longilignes, croqués telles des silhouettes de bande dessinée, tout en verticalité et en apparition franche dans les plans. Pas de gras et beaucoup d’ellipses simplifient et concentrent chaque scène sur son essence.

En revisitant la sienne à distance, Samir Guesmi chante une jeunesse qui se construit comme elle peut, en rêvant parfois (de faire des passes de foot avec le père), pour mieux faire plier le réel vers l’apaisement, et ouvrir au champ des possibles. L’émotion y trouve ainsi sa place, par petites touches, et par jaillissements : demander de récupérer la prothèse dentaire de son pater, montrer à son gamin son ascension au travail, lui caresser la joue. La discrétion et la finesse font un joli ménage. Avec aussi pour bagage son riche parcours actoral, la présence de complices de route devant sa caméra (Maryline Canto, Florence Loiret-Caille, Djemel Barek, Philippe Rebbot), et l’ouverture bienveillante à la lumineuse nouvelle génération (Abdel Bendaher, Rabah Naït Oufella, Luana Bajrami), le cinéaste fait mouche.