Confinement 2 : comment ça va, les cinéastes ?


Trois questions à Anna Cazenave Cambet

Comment celles et ceux qui réalisent vivent-ils le second confinement hexagonal, annoncé le 28 octobre dernier et mis en place quarante-huit heures plus tard ? À l’heure où les salles de cinéma sont fermées, où certaines sorties de films ont été écourtées ou annulées, en attente d’une date ultérieure, et où le processus de création est impacté, BANDE À PART prend des nouvelles de jeunes cinéastes.

Anna Cazenave Cambet est la réalisatrice du premier long-métrage De l’or pour les chiens, labellisé Semaine de la Critique 2020. Ce récit initiatique, solaire, physique et mystique, révèle l’actrice Tallulah Cassavetti, et fait notamment suite à Gabber Lover, qui a valu à son auteure la Queer Palm du court-métrage à Cannes en 2016.

Interview réalisée mardi 24 novembre, quelques heures avant les annonces sur les étapes du déconfinement.

© Kristy Baboul

 

La sortie dans les cinémas de votre film De l’or pour les chiens était prévue ce mercredi 25 novembre. Confinement oblige, elle est reportée. Qu’en est-il à ce jour ?

On est bien obligés d’attendre, au jour le jour. J’ai fait le choix d’arrêter de me poser la question. C’est trop difficile. Déjà, le premier confinement, avec Cannes, pas Cannes, la sélection en label Semaine de la Critique, présenté sur la Croisette ou pas, etc. Ça fait des mois qu’on est dans l’attente, donc je prends le parti de ne pas trop y penser, même si je me suis réveillée ce matin en me disant : « Tiens, mon film aurait dû sortir demain » ! Concernant la date de sortie, on ne la connaît pas encore, parce qu’il y a tous les films déjà datés avant, et qui, pour la plupart, vont sans doute être programmés. Tout le monde va essayer de faire les choses de la manière la plus respectueuse des autres, et en bonne intelligence. Il y aura forcément des embouteillages. On avait parlé de sortir début janvier, en tout cas après Noël.

De l'or pour les chiens d'Anna Cazenave Cambet. Copyright CG Cinéma / Rezo Films.
Ces semaines du second confinement auraient dû correspondre au temps de l’accompagnement et de la promotion du film. Continuez-vous quand même ? Comment gérez-vous cette période intermédiaire ?

On avait commencé le travail avec la presse, et quelques articles, déjà maquettés pour novembre, ont paru, dans Première ou Madame Figaro. Le reste est en stand-by, parce qu’on a tout arrêté pour attendre la vraie sortie. J’ai beaucoup de temps et j’ai fait le choix de partir de Paris. J’écris mon prochain film et j’essaie de mettre ce moment à profit. Je lis de la poésie, ce que je n’avais jamais trop fait dans ma vie ! J’ai commencé un livre magnifique : Je transporte des explosifs, on les appelle des mots, Poésie & féminismes aux États-Unis (aux éditions Cambourakis), qui réunit des textes de poétesses américaines. Au moment où on se parle, je viens de voir les images des agressions des migrants place de la République à Paris. Je vois assez peu d’images parce que ça me violente trop. Mais, ponctuellement, je fais le travail de me tenir au courant. Je suis un peu sonnée par cette époque. Ce n’est pas très nouveau de dire ça, mais c’est très particulier d’en être à son premier film, au début de sa création, au milieu d’un monde qui laisse si peu de place à la culture et tant de place à la violence. Comment continuer à croire et même à écrire nos petites histoires ? Je trouve précisément du réconfort dans la culture. Plus que jamais, on se ressource dans l’art et dans celui des autres. En tout cas, c’est comme ça que je respire en ce moment.

Le 1er novembre, je me suis aussi fait un programme de trente films, pour en découvrir un chaque soir du mois. J’ai composé hier la liste pour décembre, parce que je ne suis pas très optimiste sur la suite des événements ! J’ai une cinéphilie très « à trous », car je m’y suis mise sur le tard, et il y a énormément de classiques que je n’ai pas vus, à la fois anciens et très récents. Et là, je vis des tremblements de terre. Tous les soirs, je me prends une leçon de cinéma. Je pense à Breaking the Waves de Lars Von Trier, dont je ne me remets pas. Hier soir, j’ai vu Yi Yi d’Edward Yang, que j’ai trouvé sublime, somptueux. J’ai rattrapé Crash de Cronenberg, qui est très beau, et dont tout le monde me disait : « Mais enfin, tu ne l’as pas vu ? ». Pendant le premier confinement, j’avais vu Les Dimanches de Ville-d’Avray de Serge Bourguignon, qui est très très fort. Celui dont il faut absolument que je parle, c’est Le Retour d’Andreï Zviaguintsev. Tout est à l’os, c’est une leçon de mise en scène et d’écriture, sur la simplicité. C’est d’une tranquillité sur la question relative à l’écriture d’un parcours. Un mec débarque dans une famille, récupère ses gosses, on ne sait pas pourquoi, il part en voiture, et c’est le prétexte à tout, jusqu’à arriver sur cette île. Ça rend très humble pour écrire.

Votre écriture s’en trouve-t-elle justement impactée ?

Disons que cela confirme plutôt les tendances. Quand je vois Le Retour, je me dis qu’il faut s’accrocher très fort à cette simplicité. Cette ligne droite, sans concession. À la fin du film, aucune clé n’est donnée. Le scénario en tant qu’objet et structure est prétexte, pour moi, pour travailler des émotions. Je suis assez repoussée par les scripts très construits, très léchés, très alambiqués, avec des retournements de situations. C’est quelque chose qui me touche peu en général, au niveau du film fini. J’ai également vu Kaili Blues, le premier film de Bi Gan, qui m’a laissée circonspecte à pleins d’endroits, mais m’a très fortement nourrie sur l’usage de la poésie. Et j’ai montré à mon compagnon Thérèse d’Alain Cavalier, qu’il n’avait jamais vu, et qui est l’un des films qui a le plus compté pour moi, au tout début de mon amour pour le cinéma. J’ai vu et reconnu des milliards de choses que j’ai sans doute mises, sans même le savoir, dans mon premier long. Je vois bien où et comment il m’accompagnait. C’est drôle, c’est comme si j’avais des secrets avec ce film.