ADN

À l’origine

Pour son cinquième long-métrage comme réalisatrice, Maïwenn explore liens du sang et liens du cœur. Et livre un beau grand film sur la transmission. Un film entre drame et comédie, qui palpite.

C’est une famille de bric et de broc, quatre générations bigarrées, mélangées, le verbe haut, le geste brusque et l’œil qui lance des flèches. Des mères et des filles, des frères et des sœurs, des cousins, toujours prêts à en découdre. D’éclats de voix en éclats de rires, tout, dans la famille Fellah, est hautement explosif, mais s’apaise au chevet d’Emir, le patriarche, ancien communiste émigré d’Algérie, et qui perd doucement la mémoire dans un Ehpad. Là, chacun se réjouit qu’Emir ait pu confier son histoire à une amie pour un livre de souvenirs auto-édité, que toute la smala feuillette tendrement, caressant du doigt les photos en noir et blanc de ce petit homme au regard doux.

Mais voilà qu’Emir se meurt et la famille, de nouveau, part à vau-l’eau. Surtout Neige, l’aînée de quatre enfants, qui ne supporte pas la légèreté de sa sœur, a toujours peur de sa mère Caroline, aime détester son père, et ne trouve la paix qu’auprès de son ex, François, dont l’humour inaltérable lui tient chaud en toute circonstance. Neige s’accroche à chaque relique, embarque l’urne funéraire et les pyjamas du défunt, se plonge dans des histoires d’Algérie et n’a plus qu’une idée en tête : appartenir à ce pays d’où vient l’homme qui fut son pilier, son phare dans la nuit noire tissée par des parents toxiques et malveillants.

ADN de Maïwenn. Copyright Malgosia Abramowska / Le Pacte.

En dehors du fait qu’elle en interprète l’un des rôles principaux, Maïwenn, avec ce cinquième long-métrage, apporte une nouvelle pierre à l’édifice commencé jadis avec le court-métrage I’m an actrice, puis son one-woman-show, au théâtre, Le Pois chiche. S’inspirant de sa propre existence, elle tisse le vrai et le faux, raconte les difficiles chemins, les cœurs abîmés par l’amour mauvais, la possible résilience. Qu’elle envisage de filmer sa famille en portrait craché (Pardonnez-moi), suive les brigades des mineurs dans leurs interventions quotidiennes (Polisse) ou raconte une flambée d’amour destructrice (Mon roi), Maïwenn pose un œil de documentariste sur tout ce qu’elle conte. Ici, sur une trame orchestrée avec Mathieu Demy (lui-même en deuil de sa mère Agnès Varda), elle plonge à corps perdu dans la réalité, s’y jette avec ses acteurs, travaille à plusieurs caméras, organise le chaos et, à force de laisser tourner et improviser, saisit quelque chose d’unique. Une humanité à l’œuvre, qui vibre et se déploie entre accents justes, colères dérangeantes et fous rires salvateurs.

Agrégée autour du débutant merveilleux incarnant le grand-père (Omar Marwan) et de Maïwenn, bouleversante en grande petite-fille inconsolable à la colère inextinguible, la troupe de comédiens est aussi disparate que formidable. Fanny Ardant est bluffante en mère ogresse, tragédienne façon Médée ; Caroline Chaniolleau, actrice de théâtre disparue des radars du cinéma depuis les années 1990, compose une tante abrupte et ombrageuse ; Marine Vacth est une irradiante petite sœur, qui semble fuir pour mieux se sauver. Et Louis Garrel, pince-sans-rire, est d’une drôlerie irrésistible, mais lorsqu’il évoque l’enterrement de son grand-père, il convoque l’émotion de sa célèbre parentèle envolée. Car c’est ça, la force d’ADN : on y rit autant qu’on s’y émeut.

La réalisatrice possède une énergie de tornade, emportant sur son passage les réticences du spectateur à revoir jouer l’éternelle histoire d’une famille dysfonctionnelle (pléonasme ?). Car finalement, de Pardonnez-moi à ADN, c’est toujours un peu la même douleur, la même violence qui se joue, mais les règlements de comptes ici sont magnifiés par une mise en scène vive et malicieuse, qui invite des serpents sifflant sur les têtes ou offre un trottoir pour refuge à une mère venant de prendre la colère de sa fille en pleine figure. Surtout, il y a ici, comme dans Mon roi, le récit d’une renaissance, de ce besoin de se réinventer autrement après l’épreuve, de retrouver ses racines et s’ancrer. Pour mieux s’envoler. Libre, enfin ?