Entretien avec Boris Thomas, directeur du Ciné St-Leu à Amiens

« Je ne pense qu’à la réouverture »

Directeur/programmateur du Ciné St-Leu, fermé pour cause de Covid, comme la salle Orson Welles de la Maison de la Culture d’Amiens, dont il est également programmateur, Boris Thomas fait le bilan. En attendant le 15 décembre.

 

Où en était la fréquentation du Ciné St-Leu, juste avant la fermeture du vendredi 30 octobre ?

Nous étions en train de faire notre meilleur mois depuis la reprise du 22 juin. Il faut dire qu’à Amiens — contrairement à Paris et l’Île-de-France, Lyon, Marseille, Grenoble… en tout une région et sept métropoles —, nous n’avons pas subi de couvre-feu. Mais les chiffres nationaux étaient plutôt encourageants. Même si la fréquentation globale est en baisse de 57 % par rapport à ce qu’elle était en 2019, elle était en train de reprendre des couleurs. Au Ciné St-Leu, la baisse enregistrée n’était « que » de 30 %. Nous avions à l’affiche Drunk de Thomas Vinterberg, qui marchait très bien depuis le 14 octobre, avec un excellent bouche-à-oreille.

 

Comment analysez-vous cette remontée d’octobre ?

C’est généralement un bon mois pour le cinéma, et pour le spectacle en général. C’est la vraie rentrée culturelle. Il y a deux jours fériés, les vacances scolaires, les gens sont débarrassés des obligations de rentrée du mois de septembre… Et puis, peut-être qu’avec les mesures sanitaires — les espacements de sièges entre spectateurs ou groupes de spectateurs, les masques —, et malgré le fait que les salles soient des lieux fermés, le public avait enfin compris qu’il ne craignait rien dans les cinémas ?

Avant-première "Jeanne" (Boris Thomas avec Bruno Dumont) / copyright : Ciné St-leu
Quelle est votre « ligne éditoriale » ?

Le Ciné St-Leu est un mono écran avec 250 fauteuils, classé Art et Essai, Recherche et découverte, Jeune Public, Répertoire et patrimoine et membre d’Europa Cinéma. Nous sommes dédiés à la découverte de jeunes auteurs et plus de 30 % des séances sont consacrées au cinéma européen hors France. Étant 100 % Art et Essai, nous avons l’avantage de ne pas dépendre des blockbusters américains ni des grosses comédies françaises, les deux catégories de films qui font défaut en ces temps de pandémie. Les multiplexes et les salles généralistes ont donc été plus impactées que nous ces derniers mois. Mais, évidemment, la concurrence est féroce, les grands groupes s’intéressent de près au cinéma d’auteur… Il faut de plus en plus se battre sur certains films.

Quels sont les films qui vous ont porté ces derniers temps ?

Il y en a plein. J’ai eu un gros gros coup de cœur pour  Josep d’Aurel (sorti le 30 septembre), qui fait, comme je l’ai rarement vu, la jonction entre le 7e et le 9e art. C’est un très beau film d’animation pour tous publics, qui a bien marché dans ma salle, mais que je souhaiterais reprendre après la réouverture. J’ai aussi, parce qu’à titre personnel j’ai toujours aimé le film de genre, et la base de ma cinéphilie s’est fabriquée sur le cinéma fantastique, une vraie passion pour La Nuée de Just Philippot, qui aurait dû sortir le 4 novembre. Le film est étonnant, il pousse plus loin, avec un angle très original, ce qui était déjà à l’œuvre dans Petit Paysan (de Hubert Charuel, 2017) et propose une mise en scène très stylisée, c’est une réussite. Mais il y a beaucoup de films enthousiasmants ces derniers temps, malgré l’absence physique des festivals et notamment de Cannes, la production actuelle est pleine de promesses.

Vous étiez sur le point de fêter les 20 ans du Ciné St-Leu et de vivre dans vos salles le 40e anniversaire du Festival International du film d’Amiens…

Et tout a été annulé, modifié ou reporté. Mais cela nous fait des perspectives nombreuses d’événements à inventer ou réinventer pour le début de l’année 2021, dans les salles.

Quel est votre état d’esprit ?

Depuis la fermeture, je ne pense qu’à une chose : la réouverture ! Après le flottement des premiers jours, où personnellement je me disais que rien ne se passerait avant 2021, nous sommes passés par une phase de discussions et d’hypothèses de travail. Avec différentes associations professionnelles, tels le SCARE (Syndicat des Cinémas d’Art, de Répertoire et d’Essai) ou le SDI (Syndicat des Distributeurs Indépendants), nous avons envisagé une
« semaine blanche », c’est-à-dire rouvrir les salles avec les mêmes programmations que quand elles ont fermé ; sans nouvelles sorties, afin de laisser aux films d’octobre la chance de continuer leur carrière arrêtée brutalement. Mais, hélas, c’est une proposition qui n’a pas été du goût de tous. Lorsque les bruits d’une réouverture mi-décembre ont commencé à se faire insistants, nous étions sur une demande globale : ne pas ouvrir pour refermer trois semaines après, et sans couvre-feu nulle part afin que tous les exploitants de France soient logés à la même enseigne. Depuis hier, 24 novembre, nous partons sur la date du 15 décembre (si les conditions sanitaires le permettent), les films se positionnent, mais ça change beaucoup et tout le temps, et il semble que, malgré le couvre-feu général à 21 h, un système d’« horodateurs » se mette en place et permette aux spectateurs de sortir plus tardivement d’une séance ou d’un spectacle de théâtre. Au moment où je vous parle, j’envisage de reprendre Drunk au Ciné St-Leu afin de lui donner sa chance jusqu’au bout (j’étais censé le garder à l’affiche pendant quatre semaines et il lui a manqué douze jours). Et si le distributeur Jour de Fête confirme la date du 15 décembre pour Slalom, premier film très réussi de Charlène Favier, pour lequel je me suis battu et dont j’avais obtenu la sortie dans la salle Orson Welles de la Maison de la Culture, il sera donc à l’affiche… Et j’espère que l’envie de cinéma qu’on sentait très forte fin octobre sera là.