Tout les sépare, et pourtant la pragmatique et la poupée finissent par faire cause commune. Galère, entraide et espoir. Cette série au féminin, pour être sombre, n’en est pas moins enthousiasmante.
Créée par Virginie Brac (Engrenages), cette série en huit épisodes, portée haut et fort par ses deux épatantes interprètes, Veerle Baetens et Charlotte Le Bon, nous entraîne dans un western nordique, une cavale immobile, un road-movie sisyphéen. C’est peu dire que, au regard de ses deux « héroïnes », aussi opposées que possible, Cheyenne & Lola manie l’oxymore. Car, oui, c’est une série sur la mouise, qui, au lieu d’être dépressive, travaille son réalisme et joue sur l’énergie, la résistance, la hargne de s’en sortir. Elle exalte la force des faibles et, constamment, vous embarque et vous emballe.
Ça se passe quelque part entre Nord et mer, entre Calais et Dunkerque : là d’où partent vers l’Angleterre de grands bateaux majestueux, là où campent des réfugiés en attente d’un ailleurs. Cheyenne, le cheveu ras, la mâchoire volontaire, vit seule dans une caravane installée dans les dunes, elle fait des ménages — à bord des ferries ou dans des pavillons coquets — et met chaque sou de côté en attendant de partir au Brésil où exercer comme tatoueuse. Ce métier, Cheyenne l’a probablement appris en prison, où elle a croupi des mois pour ne pas avoir dénoncé son mari, toujours enfermé, et à qui elle n’ose pas dire qu’elle va le quitter. Cheyenne a une haute idée du juste, elle marche droit, ne veut causer de tort à personne.
Sur ses talons de pépète, moulée dans ses minijupes, mentant comme elle respire, Lola zigzague beaucoup. Maligne, instruite, mais bridée par ses propres démons, elle n’avance guère. Elle tente de se faire une place au soleil avec son amant, un coach de vie arnaqueur et beau gosse, qui soulage les porte-monnaie de crédules victimes, prêtes à tout pour changer de vie. Mais, oups, l’amant a une épouse, et zut, elle se prend les pieds dans son tapis de course en présence de Lola, qui nie toute responsabilité et menace même Cheyenne, femme de ménage du couple, de témoigner contre elle. La pragmatique sortant de taule et la poupée voulant sortir d’elle-même sont ainsi liées à jamais : Cheyenne, cherchant à se débarrasser du cadavre, est contrainte d’en passer par le caïd local, Yannick Bontemps (Patrick D’Assumpçao, idéal en nounours effrayant), et, forcément, un « service » pareil, ça se paie.
Chaque fois qu’elles avancent, une catastrophe leur tombe dessus. Mais, refusant de s’avouer vaincues, Cheyenne et Lola, d’abord chacune de leur côté (« Y a pas de “nous” », répète inlassablement la première à la seconde, qui s’accroche et la colle) vont se battre. Avec le système D et des armes pas toujours légales, avec leur courage et leur imagination, leur mauvaise foi et leur folie. Avec leur entourage aussi, la sœur de Cheyenne, les copines du boulot, la patronne du bar. Toute une communauté au féminin qui se dresse à sa façon contre la vie moche. Et le casting, avec une mention spéciale à Sophie-Marie Larrouy et Natalia Dontcheva, est d’une richesse formidable.
Le décor, poétique et désolé, évoque une chanson de Jacques Brel : « Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague, et des vagues de dunes pour arrêter les vagues … » La lumière et les cadres du chef- opérateur Frédéric Van Zandycke, ni misérabilistes ni magnifiants, mais quelque part entre les deux, rendent leur noblesse étrange à ces décors de plages battues pas les vents, de ports accotés à de grands bateaux, de cours de fermes abandonnées et de « Bar des amis » aux néons incongrus.
Comme la mise en scène, rapide et efficace, mais aussi parfois langoureuse et rêveuse, parvient à exprimer l’extraordinaire de ses héroïnes, que d’aucuns pourraient voir comme banales, perdues d’avance, voire psychopathes. Elles sont tout cela et bien d’autres choses. Des femmes, des guerrières. Des amies, qui sait ?