Confinement 2 : comment ça va, les cinéastes ?


Trois questions à Charlène Favier

Comment celles et ceux qui réalisent vivent-ils le second confinement hexagonal, annoncé le 28 octobre dernier et mis en place quarante-huit heures plus tard ? À l’heure où les salles de cinéma sont fermées, où certaines sorties de films ont été écourtées ou annulées, en attente d’une date ultérieure, et où le processus de création est impacté, BANDE À PART prend des nouvelles de jeunes cinéastes.

Slalom est le premier long-métrage de Charlène Favier. Porté par Noée Abita et Jérémie Renier, il dresse le portrait d’une jeune skieuse et de sa relation à son entraîneur, au cœur des Alpes enneigées, et met en scène l’abus sexuel dans le sport. Déjà auteure de multiples films courts, aux genres et formats variés, la réalisatrice revient sur son vécu des dernières semaines.

© Olivier Vigerie

 

Au moment de l’arrivée prévue sur grand écran de Slalom, mercredi 4 novembre dernier, la France était progressivement passée en couvre-feu depuis peu. Comment envisagiez-vous la sortie du film, et comment avez-vous vécu ce report soudain ?

La veille de l’annonce du second confinement, on s’est dit qu’il allait se passer quelque chose, et j’étais dans un état de fatigue tel, que j’étais presque contente de me dire : « On va pouvoir souffler un peu ». Je n’étais pas du tout déprimée, je me disais : « Ce n‘est pas grave ! On reporte et on verra ce qui se passe. On sortira en décembre ou en janvier, à ce moment-là le public retournera au cinéma. » L’enseignement des quelques mois précédents est que les films qui ont réussi à sortir entre les deux confinements ont quand même trouvé leur public, Il y avait du monde en salle, et des festivals ont eu lieu. Slalom est allé à Deauville, Angoulême, Saint-Jean-de-Luz. Tout cela nous a redonné du baume au cœur et de l’espoir. Il y a eu une espèce d’accouchement, j’ai pu montrer mon film de fin août à début novembre. Finalement, j’ai bien vécu cette période. Je suis assez optimiste dans la vie, et je me dis que c‘est toujours un mal pour un bien, il faut savoir s’adapter. J’ai aussi été nourrie par l’énergie et les retours extrêmement positifs du public, de la presse et des festivals. Je sais que le film plaît, a l’air de marcher. J’ai l’impression que ce que j’avais envie de faire a fonctionné, donc je suis un peu détendue.

Slalom. Copyright Charlie Bus Production
À quoi aviez-vous occupé le temps du premier confinement, de mi-mars à mi-mai dernier ? Slalom était encore en finition ?

Je l’ai très mal vécu. Le film était terminé et on attendait les réponses des sélections pour Cannes. On ne savait pas si le festival allait être maintenu ou pas. Il y avait une espèce d’incertitude énorme, et beaucoup plus d’angoisse sur le virus, dont on ne savait pas s’il était grave ou pas. C’était un confinement plus intense, plus strict. Je me demandais si mon film allait sortir un jour dans les salles. C’était beaucoup plus compliqué. En tant que réalisatrice, je n’avais plus aucun recul sur ce que j’avais fait, j’étais incapable de dire si Slalom était bien, pas bien, si je m’étais plantée, si j’avais réussi. Même si certaines personnes de la production me disaient : « C’est super », je pensais : « Si ça se trouve, c’est naze ». J’étais dans ce flou complètement artistique de ne pas savoir ce que son travail vaut. Et c’est très dur. Une paralysie totale, à ne pas pouvoir travailler sur autre chose.

Vous vivez donc ce second confinement différemment, et vous le mettez à profit ?

Premièrement, je me repose, parce que ça a été très intense. C’est différent aussi parce que je suis tout à fait rassurée. J’ai énormément de propositions. On vient me chercher de tous les côtés, que ce soient les plates-formes, telle Netflix, ou des producteurs comme Gaumont, ou Federation Entertainment pour la télé, ou encore Sylvie Pialat ou Rectangle Productions pour le cinéma. Tous ces gens avec qui j’aurais rêvé de travailler avant, mais j’étais complètement inconnue. J’ai un parcours d’autodidacte, ce côté un peu provincial, avec pas mal de complexes, donc tout cela aujourd’hui est très stimulant.

Pour faire un deuxième film, il faut quand même se reconnecter avec soi-même, se reposer les bonnes questions : Qu’est-ce qu’on veut raconter ? Où est-ce qu’on se place ? Qu’est-ce qu’on veut faire ? C’est très compliqué de trouver le bon projet après un premier, personnel, fort, qui dénonce les abus sexuels dans le sport. Tout le monde nous dit qu’on a réussi à faire le premier – on ne sait pas comment on a fait, on est tellement content d’y être arrivé – et ajoute : « Attention, le deuxième, c’est plus dur ». Il y a une vraie pression.

Je suis en train de travailler sur la suite. Sur les différents projets, il y en a un qui sera mon deuxième film, un sujet passionnant, dans la même veine que Slalom, avec un personnage d’héroïne et de femme très forte. Encore un portrait féminin, mais avec un aspect politique. Il y aura encore plus d’ampleur et ça ira plus loin en termes de cinéma, sans que ce soit trop, parce qu’il faut continuer à apprendre. Tout en restant dans une dénonciation forte, avec un vrai point de vue sur la féminité, sur le corps. Ce deuxième confinement tombe à pic pour réfléchir à tout ça.