Xavier Dolan

Instantané

Il a plu. Un ciel gris et bas tombe sur la baie et le festival. Les yeux sont secs. Le jour d’avant, Mommy, le cinquième long-métrage de Xavier Dolan, a tout emporté ; l’âme de fond de ce film foudroyé roule des larmes en vagues. Mais le jeune cinéaste qui prend place sur la plage du Majestic est fatigué ce jour-là. « Je suis brûlé ». Comme si toute la vibrante énergie du film avait déposé ses propres forces. La veille de faire son entrée en compétition, le jour où le vieux Godard dit Adieu au langage, l’enfant prodige élevé précocement à son art s’est dirigé vers la porte. « Je m’en vais en histoire de l’art à l’université et en études germaniques ». Adieu. Ou plutôt au revoir. Quel étrange projet de vouloir partir au moment de devenir, à 25 ans, un metteur en scène de premier plan ! Xavier Dolan a l’air hésitant, peu sûr de lui. Qui a moqué un Narcisse obsessionnel ? Le garçon assis ici est un artiste en plein doute et en plein désarroi, taraudé par des questions au moment où Mommy affole les festivaliers, aussi secoués que lorsque ils avaient découvert en 2008 Comment j’ai tué ma mère, scénario autofictionnel sur la relation aiguë d’une mère et son fils homosexuel. Le réalisateur québécois avait 19 ans. On aurait voulu lui offrir Ma mère de Georges Bataille, le roman de l’adoration dévoratrice d’une mère et d’un fils. Il l’a lu, il l’a, ce livre, scandaleusement possédé, mais Mommy ne lui doit rien, c’est une autre histoire, dit-il. Xavier Dolan s’assied, pose pour le photographe, silhouette frêle de très jeune homme qui aurait pu être sorti de l’écran d’un film adolescent de Larry Clark. Une moue juvénile contredit à l’instant sa brillante maturité. À chaque oreille, il porte de minuscules pointes, comme des cornes de petit diablotin. Il ne niaise plus comme sur le tournage exalté de Mommy avec Antoine Olivier Pilon, quand il fallait au réalisateur et son acteur teenager échapper à la gangue des tensions. Xavier Dolan est là, sage, il ne fait plus le fou, il a l’air d’un enfant charmant à la gueule d’ange. Il lève les yeux au ciel, l’air désarmé, las peut-être. Mais il est tout en haut, calme et candide. S’il rêve de Palme, il ne l’avoue pas.

Portrait Instantané de Xavier Dolan © Yann Vidal
© Yann Vidal