La magie Woody

Magic in the Moonlight, comme le titre l’indique, ce quarante-quatrième long-métrage de Woody Allen allie la rencontre entre le surnaturel et le romantique. Le très british Stanley Crawford (Colin Firth) officie sur les scènes d’Europe sous les traits du prestidigitateur chinois Wei Ling Soo : on fait sa connaissance à Berlin en 1928, tandis qu’il fait disparaître un éléphant et coupe en deux sa partenaire. Dans la vraie vie, il est irascible, désagréable, pragmatique et cynique. Son meilleur ami lui propose de démasquer une médium, Sophie (Emma Stone), dont une riche famille d’Américains en villégiature sur la côté d’Azur s’est entichée. Peu à peu, ce cartésien perd ses repères, il se met à croire dur comme fer aux talents de Sophie… La rencontre de ces deux-là fait des étincelles et le film est drôle, brillant, émouvant : on en sort avec des étoiles plein les yeux (sortie le 22 octobre).

La magie Woody opère depuis longtemps. Elle ne fonctionne pas sur tout le monde : la France fait un triomphe à ses films, l’Amérique renâcle encore et toujours, même s’il y gagne quelques Oscars (mais du meilleur scénario ou de la meilleure actrice, il n’a été couronné que pour la réalisation de Annie Hall). Elle ne marche pas à tous les coups, mais les fans de Woody Allen vous le diront : envoûtés, ensorcelés, ils ont de multiples raisons d’être sous le charme de Woodini…

Magiciens en tous genres

Enfant, le jeune Allen Stewart Konigsberg ambitionnait de devenir magicien : il avait, paraît-il, plus d’un tour (de cartes) dans son sac. La magie parcourt les écrits de Woody Allen, de Madame Bovary, c’est l’autre (nouvelle publiée dans le recueil Destins tordus) à sa troisième pièce de théâtre, The Floating Lightbulb, en passant par ses sketchs de la grande époque du stand-up. Dans les scénarios de ses films aussi, elle est très présente. C’est un magicien qui escamote le tueur à la fin d’Ombres et brouillard et prend comme assistant Kleinman (Woody Allen). Dans Le Complot d’Œdipe, sketch du film collectif New York Stories, c’est encore un digne représentant de cette corporation, Shandu Le Grand, qui envoie la propre mère du héros dans les nuages, d’où elle a une vue imprenable sur la vie de son fils. Woody Allen incarne, dans Scoop, Splendini, alias Sidney Waterman, qui fait apparaître des bouquets de fleurs, et dématérialise une jeune femme choisie dans le public, ce qui permet à Scarlett Johansson d’entrer en contact avec un journaliste mort la mettant sur la piste d’un serial killer ; et, lorsque Sidney se fait passer pour le père de celle-ci dans la bonne société londonienne, il ne peut s’empêcher d’y aller de ses tours de cartes… Dans Stardust Memories, le metteur en scène Sandy Bates (Woody encore) se revoit enfant, en train d’effectuer quelques tours avant de faire léviter à l’âge adulte une jeune spectatrice charmante. Même dans l’un de ses films les plus bergmaniens, Intérieurs, le personnage de Pearl (Maureen Stappleton) s’adonne aux tours de cartes.

Doosier : La magie Woody Allen

 

Hypnotiseurs, mediums et voyantes

Coiffé d’un turban, Voltan Polgar, de dos, téléphone à l’homme qu’il a hypnotisé et mis sous sa coupe, tandis que face à lui deux miroirs comme des yeux ronds nous renvoient son image. Le Sortilège du Scorpion de Jade, c’est l’histoire d’un petit détective et d’une femme de tête qui se détestent, mais dès qu’il entend le mot clé « Constantinople » et elle « Casablanca », ils brûlent d’amour l’un pour l’autre. Évidemment, ils finiront par s’aimer sans le secours de cet artifice. Comme eux, Alice (Mia Farrow) dans le film éponyme avait prévenu : « Je suis un très mauvais sujet pour l’hypnose », et pourtant, c’est par ce biais – et aussi à l’aide de quelques tisanes d’herbes rares – que le Dr Yang la met face au ratage de son mariage. Autre secours des désespérés : les voyantes. Elles sont nombreuses, de Broadway Dany Rose à Complot d’Œdipe. Cristal, la voyante de Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu est d’emblée reconnue comme un charlatan par Sally (Naomi Watts), mais tant que ses « visions » font du bien à sa mère déprimée par son divorce, « si les illusions agissent mieux que les remèdes », où est le mal ?

Doosier : La magie Woody Allen

Tours de passe passe et illusion

« On a besoin de l’illusion comme de l’air qu’on respire », entend-on dans Ombres et brouillard. Né de la lanterne magique, le cinéma est par essence l’art de l’illusion et Woody Allen y est passé maître. Même sans poudre de perlimpinpin, sans prestidigitateur, ni boule de cristal, l’illusion est reine. C’est aux douze coups de minuit que, tel un Cendrillon à l’envers, Owen Wilson, le héros contemporain de Midnight in Paris, entre de plain-pied dans les années folles de la capitale. Dans Broadway Dany Rose, son personnage est ligoté à Mia Farrow et il se libère après quelques contorsions sensuelles et comme par miracle. Dans Meurtres mystérieux à Manhattan, la scène anthologique des magnétophones où Woody, Anjelica Huston et leurs comparses « fabriquent » une conversation téléphonique est un bricolage génial, digne du montage. Dans Tout le monde dit « I love you », Woody danse avec Goldie Hawn sur les quais de bord de Seine à Paris, sur l’air de I’m Through With Love, et comme par enchantement, celle-ci s’envole dans les airs. Comme il est dit du souvenir dans Une autre femme, on pourrait s’interroger à l’envi : « La magie, est-ce quelque chose qu’on a ou qu’on a perdu ? ». Dans Magic in the Moonlight, la scène du planétarium, où les amoureux trempés se réfugient sous les étoiles, fait écho à celle d’Annie Hall. La magie du cinéma de Woody comme un éternel retour…

Doosier : La magie Woody Allen