Mon crime

Main dans la main

François Ozon adapte une pièce de boulevard de 1934 signée Georges Berr et Louis Verneuil, et signe, entouré d’un joyeux casting et d’une équipe technique hors pair, une comédie pétillante où triomphe la sororité.

C’est ce que l’on retient en premier lieu de cette adaptation : le lien indéfectible, dépouillé de ressentiment, rivalité ou jalousie, qui unit Madeleine (Nadia Tereszkiewicz) à Pauline (Rebecca Marder). La première est actrice ; la seconde, avocate. Elles vivent sous le même toit dans le Paris de 1935, peinent à trouver du travail et payer leur loyer, jusqu’au jour où Madeleine s’accuse d’un meurtre qu’elle n’a pas commis et où Pauline se charge de sa défense. Jugée innocente et acquittée, Madeleine se retrouve dans la lumière et sort gagnante de ce procès retentissant, où l’injustice faite aux femmes émeut l’opinion publique. Pauline bénéficie aussi d’un regain d’intérêt professionnel, elle qui se sent toujours dans l’ombre de ses amies, plus confidente qu’objet du désir des autres. Pour autant, ces deux ravissantes jeunes femmes resteront soudées dans l’adversité d’un bout à l’autre de ce récit.

Après 8 Femmes, dont l’intrigue en forme de Cluedo se situait dans les années 1950, et Potiche, qui mettait en scène une femme aux commandes des affaires de son mari dans les années 1970, François Ozon renoue avec ses adaptations boulevardières en costumes (toujours signés Pascaline Chavanne) où les femmes ont la part belle. C’est, cette fois, l’outrage qui leur est fait, le manque de respect de leur personne, les inégalités de traitement, qui font le lit de cette histoire primesautière en surface. L’écho avec l’ère MeToo qui ébranle nos sociétés patriarcales saute immédiatement aux oreilles. Profondément féministe, Mon crime offre une partition de choix à des actrices et acteurs venus d’horizons très variés, qui semblent se délecter. Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder sont parfaites dans leur duo. Autour d’elles, Fabrice Luchini, Dany Boon, André Dussollier, Michel Fau, Daniel Prévost, mais aussi Isabelle Huppert, survoltée dans le rôle d’une actrice aux allures de Sarah Bernhardt, Myriam Boyer ou Félix Lefebvre composent une galerie d’êtres plus ou moins glorieux – dont le sort est fixé au générique de fin, qui s’amuse des faiblesses de chacun. François Ozon les observe le sourire en coin, dans le sillage des maîtres Ernst Lubitsch, Sacha Guitry ou Billy Wilder, qui savaient regarder les paradoxes et travers humains dans un mélange d’acuité et de joyeuse désinvolture.

Dans ce petit monde, où l’on règle aisément les conflits les plus sombres, l’artifice est de mise, et il faut saluer le talent de l’équipe technique qui en soigne chaque détail, à commencer par celui du chef décorateur Jean Rabasse. Quelle belle idée que cette fenêtre surplombante qui donne à voir en arrière-plan le labeur des ouvriers dans le bureau du personnage de patron joué par André Dussollier (qu’il faut entendre prononcer : « Je me demande si je n’ai pas soudain perdu la notion du bien et du mal », l’air égaré et la voix assourdie) ! Soudain, le réel émerge au cœur de la farce et change les altérations à la clé. Mon crime, comédie en mode mineur ?

 

Anne-Claire Cieutat