Avec Compartiment n°6, son deuxième long-métrage après Olli Mäki, le cinéaste finlandais Juho Kuosmanen adapte le roman de Rosa Liksom et signe un enthousiasmant road movie ferroviaire, porté par deux acteurs incandescents.
Sur le papier, le ressort dramatique de Compartiment n°6 relève du plus pur classicisme : un homme et une femme que tout oppose se retrouvent contraints de partager un wagon de train, des jours et des nuits durant. Et contrairement aux protagonistes de New York Miami de Frank Capra, ces deux-là ne pourront aménager l’espace qui leur est imparti pour cohabiter : ils devront faire avec la promiscuité, les nuisances environnantes et le temps long jusqu’à destination. Qu’ont en commun Laura, étudiante en archéologie venue de Finlande pour voir les pétroglyphes de Mourmansk avec sa chérie (et finalement délaissée par cette dernière) et Lioha, Russe aux manières frustes parti pour travailler dans les exploitations minières à l’extrême nord-ouest du pays ? Pas grand-chose, a priori. Et pourtant, une rencontre, une vraie, opérera entre eux.
La force du récit de Juho Kuosmanen tient d’abord au fait qu’il croit ferme en ses personnages, incarnés par deux acteurs formidables, qui irradient à l’écran : Seidi Haarla et Yuriy Borisov. Alors que tout n’est que chaos et lumière crasse dans ce train qui les embarque vers les terres enneigées, quelque chose d’un lien solide et chaleureux finit par se tisser entre eux, en dépit des conflits de classes et de cultures, et fait oublier la rudesse du monde qui les entoure. Cela tient-il à la qualité de regard qui caractérise Laura ? Elle qui dessine et documente son voyage avec une petite caméra vidéo (rare stigmate qui permet de situer vaguement l’action dans le temps) ? Cette caméra et l’un de ses dessins nourriront des pivots narratifs avec une jolie intensité dramatique.
De proche en proche, les protagonistes de cette aventure ferroviaire deviennent très attachants, et évoquent lointainement ceux du merveilleux Elle et lui de Leo McCarey – avec une même escale chez une parente d’un personnage, qui offre une parenthèse à leur traversée et les rapproche par la même occasion.
La mise en scène agile de Juho Kuosmanen les suit avec affection, et parvient à faire éprouver le mouvement instable dans lequel ils sont pris sur ces rails antédiluviens – mouvement incessant, qui s’oppose à l’idée de fixation éternelle charriée par les dessins gravés dans la pierre qui attirent tant Laura. Compartiment 6, auréolé du Grand Prix au dernier Festival de Cannes, avance ainsi, de sa cadence brinquebalante et emballante, sans jamais laisser prise à la mélancolie, qui pourtant menace. Tant et si bien que, le périple achevé, l’on quitte ses personnages à regret.
Anne-Claire Cieutat