Les Âmes sœurs d’André Téchiné

Vivre libre

André Téchiné retrouve sa vivacité romanesque. En surfant sur les réalités contemporaines, il explore une nouvelle fois le lien intime entre les êtres, et Noémie Merlant et Benjamin Voisin incarnent aujourd’hui son fantasme de cinéma.

Pour son vingt-quatrième long-métrage, André Téchiné invite de nouveaux visages, et crée un couple inédit. Noémie Merlant et Benjamin Voisin inondent le film de leur énergie juvénile. Cette vitalité domine souvent l’univers du cinéaste de Rendez-vous, des Roseaux sauvages et de Quand on a 17 ans. La première fut propulsée par son rôle dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, coscénariste de Quand on a 17 ans. Téchiné voulut filmer le second dans Nos années folles, mais un accident de vélo de l’acteur empêcha les essais et la rencontre. L’alchimie du duo fonctionne à l’image et emporte ce récit de retrouvailles entre un frère et une sœur. Un réapprentissage du lien qui se fait par le corps. David, lieutenant des forces françaises, est meurtri dans sa chair, après une explosion au Mali. Jeanne le recueille à son retour au village pyrénéen de leur enfance, et le soigne à même la peau. David souffre d’amnésie. Jeanne veut le faire reconnecter à celui qu’il est, en souhaitant aussi faire table rase de leur inceste passé.

Les Âmes sœurs d’André Téchiné. Copyright 2022 CURIOSA FILMS.

Hormis la dimension intime, troublée et troublante, les vents du dehors irriguent une nouvelle fois les enjeux narratifs et émotionnels chez le cinéaste. C’était la guerre d’Algérie dans Les Roseaux sauvages, et le terrorisme en Syrie dans le récent L’Adieu à la nuit. Ici, l’intervention de la France au Mali est l’incarnation initiale du trauma. La fluidité de la mise en scène, et la rapidité narrative, chères à Téchiné, s’appuient sur un traitement étudié du réalisateur et de son coauteur Cédric Anger, déjà partenaire sur L’Homme qu’on aimait trop et Nos années folles. Le goût d’un romanesque vibrant se double d’une vision sur une réalité d’un monde accidenté, qui résonne dans le présent des « caractères ». Téchiné aime, en effet, parler de caractères plus que de personnages. Comme en peinture, il préfère favoriser les actions, réactions, humeurs et ressentis, plus que le psychologisant explicatif. David et Jeanne sont deux êtres qui font l’expérience sensible de leur vécu, au jour le jour.

À la lumière du fameux Sud-Ouest bordé de verdure, d’eau et de saisons qui défilent, Les Âmes sœurs chante un monde à la fois atemporel et en phase avec aujourd’hui. Les protagonistes ne sont pas branchés ni hyperconnectés à la modernité, mais avant tout à leurs émotions. La demeure de leur ami protecteur Marcel (André Marcon) est aussi charmante que vieillotte, et lui-même autant proprio déterminé que décalé dans son travestissement. Le tout juste octogénaire Téchiné continue inlassablement de donner vie à ses fantasmes de cinéma, et d’ausculter la vibration d’une humanité fébrile dans sa détermination à aller de l’avant, à se dépatouiller des embûches pour mieux s’en libérer. Au final, après les heurts, vexations et frustrations, Jeanne et David se baignent dans la même mer, mais chacune et chacun dans son cadre. Et ainsi vogue la vie.