L’horizon, l’Islande et Instagram

Conversation-papillon avec Florence Loiret-Caille, comédienne

Elle promène sa silhouette menue et son joli minois sur scène et sur les écrans depuis les années 1990, où on l’a découverte adolescente dans un court-métrage d’Erick Zonca, Seule. Depuis, Florence Loiret-Caille sillonne le cinéma français avec perspicacité et tourne à plusieurs reprises sous la direction de Claire Denis (Trouble Every Day, Vendredi soir, L’Intrus, Les Salauds), Michael Haneke (Code inconnu, Le Temps du loup), Jérôme Bonnell (Le Chignon d’Olga, J’attends quelqu’un, La Dame de trèfle). Elle a également fréquenté les univers des frères Larrieu (Peindre ou faire l’amour), Zabou Breitman (Je l’aimais), Agnès Jaoui (Parlez-moi de la pluie), ou Eric Rochant, qui l’a dirigée dans la série Le Bureau des légendes, où elle incarne une veilleuse de la DGSE. Avec Sólveig Anspach, elle noue une relation complice. La cinéaste d’origine américano-islandaise la filme dans Queen of Montreuil, puis dans la comédie romantico-poétique L’Effet aquatique, découverte à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes et en salle le 29 juin.

À l’origine de notre rencontre, il y avait l’envie d’embarquer la comédienne dans un échange azimuté, en mode « coq à l’âne », comme on aime le faire dans BANDE A PART. Puis notre conversation a opéré un tournant inattendu,qu’il s’agissait d’épouser, bien entendu.

Interview de Florence Loiret-Caille - Illustration Timothée Lestradet

Le mot « horizon » vous inspire-t-il ?

Ah oui, beaucoup ! C’est un retour à la mer. J’ai grandi en Indonésie, face à l’Océan indien, j’ai donc besoin de retrouver régulièrement un horizon pour retourner aux sources.

Aimez-vous plonger ?

Dans l’eau, pas trop. Mais plonger au second degré, oui. C’est même un mot d’ordre, dans les rencontres, dans l’inattendu. Plonger, c’est actif. C’est quelque chose que j’ai compris en rencontrant Claire Denis qui, elle, travaille plus sur le physique que sur les dialogues, puis en faisant un film avec Guillaume Depardieu, Au voleur, où il n’y avait plus du tout de frontière entre le jeu et la vie. À partir de ce moment-là, je n’ai plus eu l’impression de jouer. Je me suis beaucoup nourrie du jeu aussi pour me protéger dans la vie, bizarrement. Le rencontrer a été décisif. Puis il y a eu ma rencontre avec Sólveig Anspach. Avec elle, la vie et la mort étaient tout le temps liées. Par conséquent, elle m’a transmis une urgence de profiter de la vie, quitte à se prendre des gamelles. Grâce à elle, je suis tout le temps dans un état où je prends ce qu’il y a à prendre. Depuis, je n’ai plus envie de ne pas oser dire les choses, par exemple. Je fais plus confiance à mon instinct aussi. Quand on a côtoyé Sólveig pendant longtemps et qu’on fait partie de sa bande à part de Montreuil, on va vraiment à l’essentiel.

Interview de Florence Loiret-Caille - Illustration Timothée Lestradet

Cela joue-t-il aussi sur vos choix de comédienne ? Vous vous faites rare, mais vos choix sont toujours remarquables…

J’aimerais bien bosser plus ! Là, je viens de rater mon statut d’intermittente à 47 heures près ! J’ai travaillé, mais pas assez et j’ai perdu mon statut.

Vous refusez beaucoup de propositions ?

Non. Là, j’ai travaillé sur la série Le Bureau des légendes, mais pas assez pour avoir mes heures. Et avec L’Effet aquatique, ça ne faisait pas assez non plus. J’étais dégoûtée !

Pour autant, vos choix sont judicieux et ce sont souvent des films très marquants, qui laissent une empreinte physique sur le spectateur…

Oui, parce que j’aime bien que les choses soient dans la tête, mais aussi dans les pieds. Je suis, par exemple, fascinée par le travail d’Ariane Mnouchkine. Je suis tombée raide dingue des Atrides. J’arrivais d’Indonésie. J’ai découvert la Cartoucherie, ce lieu incroyable : c’est comme si j’entrais dans un temple balinais. Je suis devenue accro, et suis allée voir tous les spectacles, Iphigénie, Agamemnon, etc. À l’époque, je passais mon bac et je me suis même inscrite en Lettres Classiques pour traduire Eschyle et Euripide. Je suis allée en Grèce sur le tombeau d’Agamemnon, notamment. Je suis fascinée par tout ce qui touche au masque, à la danse.

Dansez-vous ?

Je danse comme une poire ! Mais je suis fascinée par tout ce qui se cache, en fait. Par la représentation des émotions, autant par le masque, par le théâtre, les marionnettes, que par les gens dans la rue qui peuvent, parfois, me toucher autant qu’un masque.

Interview de Florence Loiret-Caille - Illustration Timothée Lestradet

La musique est-elle importante pour vous ?

Oui, sur les tournages surtout. La musique m’aide à me concentrer. Ça me tient dans un monde associé au film, à l’équipe, à l’énergie du film. Sur L’Effet aquatique, j’écoutais Cosmo Sheldrake. Ça parle de pélican, de mouche… Je ne peux plus l’écouter aujourd’hui, ça me fait pleurer. Sur le tournage, j’écoutais cette musique entre les prises et ça m’aidait à me désinhiber.

Que retenez-vous du tournage en Islande de L’Effet aquatique ?

Il n’y avait pas de nuit là-bas quand on a tourné. Il faisait jour non-stop. Par conséquent, on voit tout avec cette lumière-là et on n’a pas du tout la même énergie. J’ai surtout retenu qu’il faut se servir de tous les aléas, en fait. Si on arrive comme un paquet ficelé, il ne peut rien se passer. Avec Sólveig, ce qui était bien, c’est qu’elle se servait des accidents. L’inattendu était toujours bien accueilli. Sólveig voulait tout le temps être spectatrice de son film. Elle accordait autant d’importance au cinéma qu’à la vie. Elle m’a appris à recevoir les choses dans le jeu et dans la vie.

Est-ce une chose commune à Claire Denis ?

Avec Claire, c’est différent. Elle m’a appris à découvrir des artistes. Je me souviens que nous sommes allées toutes les trois, Claire, sa chef-opératrice Agnès Godard et moi à Bruxelles voir l’expo du photographe Jeff Wall. C’est l’un des plus beaux souvenirs de ma vie professionnelle. Les entendre parler de la vie avec autant de références artistiques, c’était passionnant.

Que retenez-vous de votre expérience avec Michael Haneke ?

C’était des plans-séquences de huit minutes, avec plein de figurants. La question était : comment trouver ma liberté dans cette discipline d’extrême rigueur à l’autrichienne qu’il impose ? C’était génial, il fallait prendre ça comme un jeu d’échecs. On est chacun un pion dans son grand échiquier et c’était assez fascinant à observer.

Et Jérôme Bonnell, avec qui vous avez tourné trois fois ?

C’est comme des mues à chaque rencontre. Avec Jérôme Bonnell, il y avait une très grande liberté. Comme Sólveig, Jérôme vit, respire et mange cinéma.

Quel est votre rapport à la photo ?

Je n’aime pas ça, parce que ça fige les choses. Ce que j’aime au cinéma, c’est le mouvement. Le cinéma, c’est du temps qui passe, c’est la vie. C’est pour ça aussi que j’ai du mal à refaire les prises à l’identique et que c’est parfois l’enfer avec la scripte quand elle vient me remettre la mèche au même endroit qu’à la prise précédente !

Interview de Florence Loiret-Caille - Illustration Timothée Lestradet

Un film comme Au voleur de Sarah Leonor a-t-il fait bouger quelque chose en vous ?

Guillaume Depardieu et moi étions comme deux animaux. Je sentais que là où il allait, on ne pouvait pas le retenir. Il fallait être très fort pour tourner avec lui, sinon, il vous écrasait complètement. Pour entrer en contact avec lui, il fallait passer par une certaine forme de violence. Ça demande de sortir de soi, de ne pas prendre les choses de manière personnelle, mais une fois ce cap passé, j’ai vraiment eu le sentiment d’échanger avec lui. C’était très fort.

Travaillez-vous votre voix ?

Pas du tout !

Vous souvenez-vous de celle de Sólveig Anspach ?

Oui, elle avait un petit accent parigo. Et j’adorais sa messagerie
de téléphone.

Travaillez-vous la démarche de vos personnages ?

Non, je n’anticipe rien et surtout pas ma démarche. C’est en faisant que je trouve ce que je cherche, mais c’est après coup que je m’en rends compte. Tout vient du regard de celui qui réalise. Ce regard me colorie. Ça me rappelle ma mère qui, un jour, m’a expliqué comment on faisait la pintade à la cocotte. Il faut faire mijoter 2-3 heures, puis on ajoute un petit suisse en fin de cuisson. Quand on joue, on est comme une pintade qui mijote dans sa cocotte ! Sur L’Effet aquatique, comme je joue une maître-nageuse, je me suis préparée en faisant du sport pour être plus dynamique. J’ai, par conséquent, moins mangé et moins bu, les choses se sont faites d’elles-mêmes et progressivement.

Quelle place tient le costume pour vous ?

J’accorde une place énorme aux costumes. J’ai besoin d’être à l’aise avec, c’est primordial pour l’oublier au moment du tournage. C’est ce qu’on porte qui induit notre maintien. Pour L’Effet aquatique, j’étais en short et en maillot de bain, il ne fallait donc pas avoir la fesse trop molle !

Interview de Florence Loiret-Caille - Illustration Timothée Lestradet

 

À cet instant de notre échange, la serveuse du café où nous nous trouvons nous surprend en faisant tomber l’eau stagnante sur l’auvent : une marre s’écroule brutalement, faisant un bruit monstre. Nous éclatons de rire et la conversation part dans tous les sens.
En vrac, nous évoquons :

SAMIR GUESMI

J’ai fait mon premier film avec lui. J’avais 19 ans, c’était un moyen-métrage d’Eric Zonka qui s’appelait Seule et c’était ma première expérience de cinéma. Là, on s’est donc retrouvés, car sur Queen of Montreuil, on n’avait pas de scènes ensemble. C’est mon frère, Samir ! C’est mon poto qui a tout le temps le sourire. On était tellement heureux de faire ce film. Dans le film, entre nous, c’est une espèce de danse de homards très bizarre ! Samir a cette façon très particulière dans ce film de découvrir les choses. Même quand il ment, on a l’impression qu’il découvre son mensonge au moment où il le fait. Il est tout dégingandé, il est drôle !

Interview de Florence Loiret-Caille - Illustration Timothée Lestradet


OLIVIA CÔTE

Elle a une séquence d’anthologie dans L’Effet aquatique. Je ne sais pas si vous connaissez la série Vous les femmes, mais ça vaut le détour ! Regardez sur Internet, c’est à mourir de rire !

Interview de Florence Loiret-Caille - Illustration Timothée Lestradet


ÉCRITURE

J’écris, dans les cafés. Des anecdotes, j’écris beaucoup à mes amis, à la main ou par mail. Je fais beaucoup de fiction radio à France Culture ou des lectures, et j’aime beaucoup ça. Et c’est une amie à moi, qui est réalisatrice à France Culture, qui m’a incitée à écrire des nouvelles ou des formes ramassées d’anecdotes qui m’ont touchée.


INSTAGRAM

J’ai découvert Instagram et j’adore le côté photo/légende. Par contre, il ne faut pas s’engager trop politiquement, parce que là, il n’y a plus personne pour liker !


LE MÉTIER D’ACTEUR

Tout le monde porte la faculté de jouer en lui. Ça n’a rien de fascinant. Ce n’est pas de la technique, c’est un art de converser. Il y a une phrase de Cassavetes super belle à ce sujet : « Il n’y a pas de «bon acteur». Ce qui existe, en revanche, c’est une continuation de la vie. La façon dont vous jouez dans la vie, c’est la façon dont vous jouerez à l’écran. Je ne crois pas qu’il y ait un mystère de l’art dramatique; ce n’est que de l’expression, être capable de converser… ».