Empire of Light

Et l’obscurité disparaît…

Ode à une salle de cinéma et aux liens qui sauvent, portrait d’une femme éteinte qui va « se rallumer », Empire of Light célèbre la magie. Celle qui s’offre à nous si on veut bien la regarder.

Une silhouette se faufile dans un bâtiment. L’une après l’autre, les lumières s’allument. La moquette orange à motifs géométriques, la caisse centrale avec ses friandises, les escaliers, les rouges et les ors de la salle au lourd rideau de velours. C’est un cocon, un écrin, un empire ! Le cinéma de style Art déco situé en bord de digue dans la ville balnéaire  de Margate du début des années 1980 est tout cela à la fois. Vieillot et sans âge, magnifique et déjà passé de mode. S’y agitent, avant l’arrivée des spectateurs, un aréopage d’employés qui se connaissent tous, rigolent à la pause.

Au milieu d’eux, mais un peu à la marge, il y a Hilary, la femme qui a éclairé le cinéma dont elle est la gérante, mais qui, lors d’une visite à son médecin que l’on sent régulière, se dit « éteinte ». Hilary a fait une dépression, dont on ignore la raison ; elle vit seule et semble à jamais enterrée vive, sans espoir de lumière. Son patron, Monsieur Ellis, homme marié et autoritaire, l’utilise comme un objet sexuel dans le secret de son bureau, où il la convoque à tout bout de champ. Hilary est magnifique et désolée, à l’image de cet étage de l’Empire, avec ses deux salles et son bar élégant condamnés faute de clientèle et désormais dévolus aux pigeons.

Empire of Light de Sam Mendes. Copyright Walt Disney Company.

L’arrivée d’un nouvel employé, Stephen, jeune Noir adepte du ska, va lui ouvrir un nouveau monde. Ensemble, la femme mûre fragile et son cadet enthousiaste, mais constamment arrêté dans son élan par des attaques racistes, vont trouver un équilibre et tisser un lien à l’abri du regard des autres. Lors d’escapades à la mer ou à l’étage désaffecté du cinéma. Il faudra quelques drames et prises de conscience (que nous ne révélerons pas ici) pour que ces deux-là osent se libérer de ce qui les entrave et prennent leur envol.

Dans une lumière bleutée à l’extérieur, mordorée à l’intérieur, le chef-opérateur Roger Deakins, complice de Sam Mendes depuis Jarhead (2005) enveloppe ses cadres en Scope d’ambiances feutrées, qui révèlent autant les lieux que les êtres. Basé sur le premier scénario écrit par le réalisateur d’American Beauty, Les Noces rebelles, Skyfall et 1917, Empire of Light est son film le plus beau et le plus personnel. Beau parce que personnel, en hommage à sa mère et aux films qui l’ont nourri, lui, adolescent (The Blues Brothers, All That Jazz, Raging Bull, Les Chariots de feu, Bienvenue Mister Chance). Il est épaulé par un casting hors pair, Olivia Colman et Micheal Ward, mais aussi Tom Brook ou Toby Jones : c’est peu dire qu’ils crèvent l’écran. Ils nous transpercent le cœur.

Amour des personnages, tendresse pour une époque révolue, fascination pour la salle de cinéma, temple et refuge destiné « à ceux qui ont besoin de s’évader, à ceux qui n’ont nulle part où aller », comme le dit le projectionniste, Empire of Light est aussi une ode aux laissés-pour-compte dans l’Angleterre de Thatcher. Où la vie s’échappe, où la pauvreté se cherche des boucs émissaires. Mais où le lien entre les êtres reste sacré. Et où le cinéma – la salle et les films – agit comme un baume avec son faisceau lumineux ouvrant tout grand nos yeux.

 

Isabelle Danel