De nos frères blessés d'Hélier Cisterne

L’Intégrité et l’engagement

Hélier Cisterne confirme, après Vandal, sa capacité à scruter les âmes, leurs passions dévorantes et leurs zones d’ombre dans ce nouveau film profondément romantique.

Hélier Cisterne adapte un roman de Joseph Andras paru en 2016, qui relate un fait divers méconnu de la période de la guerre d’Algérie, en 1954. Au centre du récit, Fernand, un jeune Français installé en Algérie, militant communiste qui s’engage pour l’indépendance du pays, encore colonie française, et qui finit par être condamné pour avoir posé une bombe sur son lieu de travail. Ce personnage est interprété avec une belle sobriété par Vincent Lacoste, qui ajoute à sa froide détermination son éternelle lueur enfantine. Du contexte historique, le réalisateur n’évacue aucun sujet polémique, que ce soit la justice militaire punitive, les arrestations arbitraires, les exécutions sommaires, et le rôle joué par François Mitterrand, à l’époque garde des Sceaux, dans la condamnation à mort du héros.
 

De nos frères blessés d'Hélier Cisterne - Copyright Les Films du Belier, Laurent Thurin-Nal

En aplomb de cet aspect très documenté déjà passionnant en soi, le film propose une poignante histoire d’amour. Ce jeune Fernand tombe amoureux d’Hélène (lumineuse Vicky Krieps). Cette romance contraste avec la violence de la lutte. La double temporalité du film associant par flash-back la rencontre du couple et l’arrestation du militant met en évidence la dualité d’une trajectoire de vie. Le contraste est aussi celui d’un pays méditerranéen dont la lumière et la chaleur sont assombries par une violence inouïe. Cette guerre entre l’Algérie et la France fait basculer la vie du couple et met à l’épreuve les sentiments de la jeune femme. 
 
Amoureuse au point de surmonter les différences idéologiques – sa famille polonaise ayant souffert du communisme -, cette femme, devenue subitement celle d’un “traître”, fait preuve d’une grande douceur autant que d’un grand courage. Elle ne trahit pas l’être aimé, se tient toujours à ses côtés, tout en refusant d’être conditionnée par les choix de cet homme, qui privilégie son combat politique aux dépens de sa famille. Elle est également un personnage de premier plan à travers sa vitalité et sa témérité. Déjà dans son premier film, Vandal, récompensé par le prix Louis-Delluc (sur un ado, élève en CAP maçonnerie le jour, graffeur la nuit), Hélier Cisterne s’intéressait à une dissidence discrète. Il y mettait aussi en œuvre une mécanique de résistance. Ses personnages sont caractérisés par leur intégrité, même s’ils se brûlent en allant au bout de leur démarche. 

De nos frères blessés d'Hélier Cisterne - Copyright Les Films du Belier, Laurent Thurin-Nal

Ce nouveau film oscille entre des postures ambivalentes, tiraillé entre passion et conviction, normalité et bravoure, fragilité et puissance. Fernand est une figure de la résistance presque malgré lui, il est surtout un modeste ouvrier au tempérament instinctif pris dans la tourmente d’une période peu ordinaire. Le film montre à quel point une guerre peut révéler les individus, leur donner une grandeur comme les détruire. Pour y parvenir, le cinéaste emploie le format 35 mm, et opte pour une mise en scène sobre et rigoureuse, qui rappelle le cinéma de Jean-Pierre Melville (L’Armée des ombres), privilégiant le déroulement précis des événements sans chercher à éclairer les zones d’ombre et sans s’encombrer des artifices de la reconstitution historique. Hélier Cisterne fait résolument partie (avec Arthur Harari et son récent Onoda) des jeunes cinéastes français à suivre. 

Benoit Basirico