Caprice

Ce cher énamouré

Emmanuel Mouret enfourche à nouveau le cheval de la comédie pour satisfaire son goût insatiable des actrices. Virginie Efira et Anaïs Demoustier sont examinées ici à loupe et caracolent habilement dans cet univers de marivaudage si drôle et singulier.

Après la rupture que constituait dans sa filmographie le mélodrame atonal Une autre vie (2013), Emmanuel Mouret revient avec Caprice au rythme trépidant de la comédie. Elle instille une joie qui signe les retrouvailles avec le personnage qu’il interprète et décline depuis son moyen métrage Promène-toi donc tout nu ! (1999) jusqu’à L’Art d’aimer (2011). Ici, Clément est un instituteur lunaire, érudit, amoureux gentiment falot, toujours stupéfait de ce qui lui arrive. L’humour s’invite en un cocktail savoureux de dialogues lettrés et flanqués de l’incongruité des situations. La petite scène liminaire au film circonscrit précisément le profil auquel Mouret prend du plaisir et nous avait habitués : sur le banc d’un jardin public, Clément, rouge et compassé, tente d’interrompre la lecture de son fils d’environ huit ans qui a le nez plongé dans un pavé : « Tu ne veux pas t’arrêter de lire  ? Ce serait bien que tu fasses un peu autre chose… »

Mais point de Mouret au cinéma s’il n’était amoureux des femmes à ce point. Dans Caprice, elles sont le nerf de la guerre pour une bataille rangée de va-et-vient et de sentiments contradictoires. Clément est en barouf avec lui-même, tant son cœur balance, mais aussi son ami Thomas (Laurent Stocker), qui passe du statut d’homme marié à celui de prétendant. Par leur entremise, le spectateur profite d’un poste d’observation ad hoc sur le centre d’attraction des désirs, deux spécimens féminins originaux : la première est une actrice célèbre de théâtre, Alicia (Virginie Efira), dont Clément est un admirateur fervent. Comblé par le hasard et ses rêves les plus fous, il devient son amant. La seconde est Caprice (Anaïs Demoustier), une actrice débutante joviale, qui, comme un cheveu sur la soupe, jette son dévolu sur Clément. Ce dernier n’étant pas d’une nature résiliente pour deux sous : dilemme.

Seul point commun des deux héroïnes, le métier d’actrice sert une réplique à Clément pour révéler une intention avouée de Mouret : « Pour une actrice, être aimée, c’est être regardée ». Viginie Efira, dont le spectateur sait particulièrement depuis 20 ans d’écart, combien elle est délicate, trouve ici un rôle à sa juste mesure. Elle donne à Alicia une sensualité blonde et un visage parfaitement crédible au magnétisme de star confirmée, sans excès des émanations hollywoodiennes qui l’ont visiblement inspirée. Mais le plus enthousiasmant réside dans cette interprétation douce et spontanée du doute continu qui étreint Alicia, face aux ondulations d’un amour qui lui semble aussi tangible qu’irréel. Il faut voir combien Efira est pénétrante et comment, le temps d’une lueur dans ses yeux, se brise la crédulité enfantine d’Alicia sur le roc de ses désillusions. En ce sens, elle incarne la face éthérée d’un amour mystérieux et prémonitoire, loin d’une lubie, quand bien même sa raison sait dominer ses pulsions.

À l’inverse, Caprice est forgée d’instincts incontrôlés, toujours en roue libre. Maladroite, elle en fait des tonnes, dopée par cet amour immodéré et irréfléchi qu’elle éprouve pour Clément. Le pauvre a beau répéter qu’il est « déjà pris », en vain, Caprice n’écoute que son cœur. Son empreinte est telle la photographie de Clément qu’elle affiche en grand dans sa chambre : démesurée, cocasse, touchante. Emmanuel Mouret évoque sciemment la frontière qui sépare l’enfance et les signes de la passion afférents, de l’âge adulte où il convient dès lors de les dédaigner. La détermination et la désinvolture de Caprice heurte autant la morale de Clément qu’elle le fait réfléchir et l’émeut. Bousculant la part la plus intime du jeune homme, elle lui dit : « Ne sois pas égoïste, sois infidèle ! ». 

Anaïs Demoustier balaye de fait toute forme de pathos au profit d’un éventail d’expressions primesautières, un naturel désarmant qui en fait l’égérie actuelle de la fine fleur des cinéastes français (François Ozon, Pascal Ferran, Jerôme Bonnell, en attendant le prochain Christophe Honoré et le Valérie Donzelli, tous ont craqué pour elle). Et Mouret ne s’y est pas trompé : elle catalyse les derniers instants du film, d’où pointe un soupçon inattendu de nostalgie désenchantée, propre à parfaire la virtuosité du divertissement savoureux auquel nous venons d’assister. Caprice, quand tu nous tiens…