Le musée imaginaire

Rencontre avec Valérie Donzelli

Dans Marguerite & Julien, en salle depuis le 2 décembre, la réalisatrice de La Reine des pommes, La Guerre est déclarée et Main dans la main, narre les amours impossibles d’un frère et d’une sœur, Julien et Marguerite de Ravalet, contraints de fuir leur entourage pour vivre leur passion dévorante. Sur la base de cet argument (initialement développé dans un scénario par Jean Gruaut pour François Truffaut), Valérie Donzelli déploie une narration romanesque et signe un film singulier, fantaisiste et fougueux. Marguerite & Julien nous a inspiré cette déambulation au travers d’images que nous lui avons soumises et qu’elle commente ici.


FANNY ET ALEXANDRE / Igmar Bergman

« On m’a offert ce film en DVD, mais je ne l’ai pas encore vu. C’est rigolo, cette image me fait penser à Marguerite & Julien, parce que c’est un enfant qui joue avec un théâtre de marionnettes. J’ai un peu l’impression d’avoir montré ça dans mon film. »


DEUX HOMMES AU CRÉPUSCULE / Caspar David Friedrich

« On a l’impression de deux personnes déguisées en hommes, qui attendent quelque chose. Il y a une image très similaire dans mon film, où mes personnages sont sur la plage et attendent le passeur qui doit les emmener en Angleterre. Mais là, c’est moins inquiétant. Je suis sensible à la lumière de ce tableau. D’ailleurs, pour préparer Marguerite & Julien, nous avons regardé pas mal de tableaux avec Céline Bozon, ma chef-opératrice. Nous avons passé du temps ensemble au Louvre. »


 

LE BAISER / Auguste Rodin

« Ce n’est pas du tout le baiser de Marguerite & Julien, je trouve. Je vois là un baiser d’amants. On sent qu’ils profitent d’un instant, il y a quelque chose de passionné et de furtif. Avec cette main autour du cou, il y a quelque chose de très amoureux, de sexuel, comme un amour caché. Le rapport de Marguerite et Julien est très différent, d’ailleurs on les voit peu s’embrasser, hormis dans la forêt, mais pas comme ça. Ce baiser de Rodin est beau, car cet homme et cette femme sont figés dans ce baiser. »


 

PEAU D’ÂNE / Jacques Demy

« Oh, le délire ! L’arc-en-ciel, la statue en bleu, les dorures, les ailes ! C’est la fin avec l’arrivée du fameux hélicoptère. J’aimerais bien savoir comment ils ont tourné cette scène… C’est très rigolo, parce que, lorsqu’on regarde Peau d’âne dans le détail, on voit le côté carton-pâte, mais quand on suit le film, on n’y prête pas attention, on l’oublie. Quelle fantaisie ! Forcément, j’y ai pensé pour Marguerite & Julien, ce n’était pas facile, d’ailleurs. Parce que c’est LA référence du conte qui traite de l’inceste, c’est un peu intimidant. »


 

L’ORIGINE DU MONDE / Gustave Courbet

« J’ai longtemps eu une reproduction de ce tableau au-dessus de mon lit, parce que, pour La Guerre est déclarée, on avait fait une copie à taille réelle, que je n’ai finalement pas utilisée pour le film. C’est un tableau que j’aime beaucoup. Et je trouve génial que Courbet l’ait appelé L’Origine du monde, parce qu’on est, en effet, tous passés par là ! »


 

LE SAUVAGE / Jean-Paul Rappeneau

« C’est un film réjouissant. J’adore ce film, j’adore Deneuve et Montand dans ce film. J’ai eu l’occasion de rencontrer Jean-Paul Rappeneau récemment et je lui disais que j’avais fait une référence à son film dans Marguerite & Julien, en reproduisant un de ses plans à l’identique. J’aime tout dans ce film : le côté excité, le personnage de Deneuve, chieuse, le métier de Montand, et puis c’est une histoire d’amour. J’ai toujours autant de plaisir à le voir et à imaginer le plaisir des acteurs à le tourner. »


 

ROLAND BARTHES

« Pour La Reine des pommes, mon personnage, Adèle, lisait Fragments d’un discours amoureux, le passage sur l’attente, mais on n’a pas eu les droits, donc on a dû retourner la scène avec Le Petit Chaperon rouge ! Je ne connais pas très bien l’œuvre de Barthes, mais le peu que je connaisse, je trouve ça très intelligent et très rassurant aussi, car il dit les choses de façon simple, avec lesquelles on connecte. J’ai un ami, Guillaume Cassegrain, qui a écrit un livre sur Barthes, et je pense toujours à lui quand j’en entends parler. »


 

BANDE À PART / Jean-Luc Godard

« J’adore ce principe godardien, dans cette scène, de vouloir traverser le Louvre en deux minutes ! J’aime bien quand ça bouge et quand ça court. Et puis il y a Sami Frey, qui joue aussi dans Marguerite & Julien. C’est une rencontre qui m’a impressionnée. C’est un homme pour lequel j’ai beaucoup de respect. Je trouve qu’il a une politesse, un charisme, une intelligence. On ne s’est pas beaucoup parlé, mais une fois, j’ai réussi à le faire rire et ça m’a fait plaisir ! Dans Bande à part, dans César et Rosalie ou Les Mariés de l’an deux, c’est un acteur qui m’a marquée, petite, avec sa beauté sévère. Il me faisait un peu peur, même. »