Le désir Star Wars

Une stratégie au long cours


C’est une stratégie au long cours : comment faire naître graduellement le désir de découvrir le nouveau volet de la saga mythique Star Wars, sans flirter avec l’overdose ? Tandis que Lucasfilm jouait la carte de la chasse gardée en son temps, Disney, qui a racheté la société en 2012, a compris que la grande force de la saga était ses fans. Quel lien entretenir avec eux, comment gérer le timing du marketing avant la sortie sur les écrans, le 16 décembre, de Star Wars – Le Réveil de la force ? Rencontre avec Frédéric Monnereau, le directeur de la distribution et du marketing des activités studios de The Walt Disney Company France.


Quelle place accordez-vous aux fans et à leur manière de s’approprier la saga dans votre stratégie de communication ?

On a commencé par les fans, car on a tout à fait conscience que le film aujourd’hui appartient à la culture populaire et, même, a dépassé la culture populaire pour être repris par la pop culture. Il y a, en effet, tous les ingrédients pour que des graphistes revisitent cet univers iconique, par exemple. Les fans, depuis 1977, ont grandi, d’autres sont arrivés entre-temps. Tout notre travail est, bien entendu, de s’adresser d’abord à eux, puis, petit à petit, plus on se rapproche de la sortie du film et plus on élargit notre spectre de discussion. Notre objectif est de toucher une nouvelle génération avec une nouvelle saga. Nous sommes donc partis des fans avec un premier teaser, puis un deuxième pour rassurer les fans quant au fait que J.J. Abrams a, lui aussi, grandi avec la saga et en comprend les codes. Puis, progressivement, il s’agissait d’amener de nouveaux spectateurs à s’intéresser à cette saga, à ces personnages et à faire le lien avec Le Réveil de la force. On ne parle jamais d’épisode chez nous, mais de titre et nous pensons que ce titre, Le Réveil de la force, a beaucoup de sens. Dix ans après le dernier film, il prend toute sa dimension.

C’est une saga transgénérationnelle…

C’est un film qu’on positionne comme un film familial et transgénérationnel, et qu’on ouvre aux enfants, que ce soit des petits garçons ou des petites filles, car dans ce film, l’héroïne principale est une fille. On sent d’ailleurs qu’il y a un vrai intérêt de leur part. Tous les ingrédients sont réunis dans ce film : il y a vraiment de quoi faire rêver. C’est le film le plus transgénérationnel sur lequel j’aie jamais travaillé. C’est tout ce à quoi on s’applique : trouver le juste équilibre entre ce qui s’est passé avant et ce qui va se passer après le 16 décembre, avec l’arrivée d’une nouvelle génération de spectateurs, la sortie des épisodes 8 et 9, et les A Star Wars Story (spin-off de la saga, ndlr), dont le premier, Star Wars Rogue 1 va arriver à Noël 2017 et viendra compléter l’épisode 4.

Comment avez-vous travaillé le timing de votre stratégie marketing et géré le risque de saturer les spectateurs ?

C’est quelque chose qu’on a mesuré et sur lequel on travaille depuis de nombreux mois. Il y avait la volonté de rester le plus secret possible, donc de surprendre. De faire des prises de parole mondiales, ce qui a été le cas avec les deux teasers, la bande-annonce, et la révélation de l’affiche générique. Maintenant qu’on s’approche de la sortie du film, chaque pays met en place sa stratégie par rapport à son public, car ce n’est pas la même chose de sortir Star Wars en France qu’en Allemagne, au Japon ou en Argentine. Chaque public réagit différemment. Depuis le 19 octobre, on est entrés dans une période beaucoup plus française. C’est une question d’équilibre. On joue également avec les codes de la saga, car comme la saga appartient à la culture populaire, on essaye d’être événementiel et de jouer avec ses codes. Chaque fois qu’on prend la parole, c’est pour jouer avec ses codes.

Par exemple ?

Ce sont les métros à Paris et les tramways en province décorés aux couleurs Star Wars. Il s’agit de surprendre les gens dans leur quotidien. Notre partenariat avec la Poste est un bon exemple : il y a les colis R2D2 qu’on peut envoyer, les timbres Star Wars, les cartes de vœux, les boîtes aux lettres et les camions de la Poste aux couleurs du film. Je vous invite à regarder le clip de la Poste qui joue avec cette idée de quotidienneté. Pour nous, ce clip symbolise ce qu’on essaye de faire avec la sortie du film.

Qu’est-ce qui fait la spécificité de la France dans son rapport à la saga ?

La France a un fort attachement à Star Wars. Depuis le début, il y a une connexion entre le public et la saga. On sent que les femmes sont moins résistantes en France que dans d’autres pays. Et le fait de pouvoir jouer avec les codes est très bien reçu par les Français, c’est même quelque chose qu’ils attendent. Et même les femmes qui sont hermétiques au film, on va faire en sorte qu’elles s’en amusent. Beaucoup de papiers sur Star Wars sont parus dans la presse féminine, afin de démythifier la saga, pour que les femmes s’amusent des codes et aillent voir le film comme une expérience. Ce qui est très français aussi, c’est cette idée : on voudrait qu’il y ait une expérience Star Wars à vivre dans les salles au moment de la sortie, y compris pour ceux qui n’ont pas vu les autres films. On va entretenir l’ambiance dans les salles de cinéma, les gens pourront choisir leur côté de la force, obscur ou lumineux, selon l’entrée qu’ils choisissent en arrivant dans la salle. Sentir la salle qui réagit, entendre les gens qui crient ou applaudissent, c’est une expérience de communion, comme aller au stade.

Comment avez-vous distillé l’apparition de certains acteurs dans votre stratégie de communication ? Par exemple, Mark Hamill n’est toujours pas apparu…

C’est volontaire. Il y a encore plein de choses à découvrir dans le film. Il faut attendre le 16 décembre pour en savoir plus. Mark Hamill sera-t-il dans le film ? C’est un mystère qu’on entretient.

Comment avez-vous géré la sortie des produits dérivés ?

On les a gérés bien en amont, en particulier les jouets qui ont été dévoilés en septembre, lors d’une prise de parole mondiale où ont été révélés tous les nouveaux jouets de la nouvelle saga. C’était une mise en scène voulue de notre part, qui faisait partie d’une volonté de créer le buzz autour du film, en faisant découvrir de nouveaux éléments du film sans savoir quel rôle ils jouaient dans le film. Les fans, autant que les enfants, étaient là pour découvrir de nouveaux indices. On n’a pas encore tout dévoilé, car certains jouets donnent trop d’indications ! Mais on a fait en sorte de gérer les produits dérivés bien en amont de la prise de parole cinéma. Tout ça aussi pour faire attention à la saturation, même si on sait qu’il y en aura, car Star Wars est devenu une marque.

Pourquoi avez-vous décidé de ne pas montrer le film à la presse ?

Là aussi, c’est la volonté du secret. On vit dans un monde de spoilers et l’on voulait retrouver l’essence même des premiers Star Wars. Quand on découvre dans les premiers épisodes que Dark Vador est le père de Luke, c’est un choc ! Même l’équipe de tournage, à l’époque, ne le savait pas avant de le tourner ! Aujourd’hui, réussir à surprendre demande une discipline du secret extrême.