Sur le tournage de…

Une famille à louer

C’était en juillet 2014. Le réalisateur Jean-Pierre Améris (Mauvaises fréquentations, C’est la vie, Les Émotifs anonymes…) tournait Une famille à louer aux historiques studios d’Épinay-sur-Seine. Une fable romantique, dans laquelle un homme riche et seul (Benoît Poelvoorde) propose à une mère de famille sans le sou (Virginie Efira) de l’accueillir dans son foyer en échange du rachat de ses dettes. Une vingtaine de jours étaient inscrits au planning, dans le décor d’une maison comme on en voit peu dans le cinéma français et dont les intérieurs ont été entièrement construits pour les besoins du film. Les 21 et 22 juillet 2014, Jean-Pierre Améris et son équipe nous accueillaient, plateau F. Un an plus tard, alors que le film sort le 19 août, le réalisateur commente nos images-souvenirs.

Sur le tournage du film Une famille à louer de Jean-Pierre Améris avec Benoît Poelvoorde et Virgine Efira.

« Quand on fait un conte, il faut que les décors soient des personnages. La fable romantique, c’est La Belle et la Bête, c’est un homme et une femme qui se libèrent l’un l’autre. Dans mes décors principaux, il y a donc la maison froide et mortifère de Paul-André, pour laquelle j’avais en tête celle de Citizen Kane, Xanadu, le château froid de cet homme riche, seul et perdu. Nous avons trouvé une maison construite par l’architecte Mallet-Stevens à l’ouest de Paris, qu’on a redécorée. En opposition, il fallait que la maison de Violette ressemble à Violette, c’est-à-dire qu’elle soit pauvre et joyeuse. J’avais en tête les maisons d’Erin Brockovich ou de Sally Field dans Norma Ray de Martin Ritt, ces maisons en bois de plain-pied. Je ne voulais surtout pas un pavillon de banlieue parisienne, qui aurait ramené du réalisme. C’est pour la même raison qu’il n’y a pas de voitures dans les rues. Je faisais aussi une fixation sur le fait que la voiture de Violette soit orange. Créer un petit monde poétique et burlesque, c’est au détail près. Comme ce frigo qui ne cesse de s’ouvrir. Je pensais à Jacques Tati, à ces mondes où tout est créé, et même à la cabane des Temps modernes où Charlot et Paulette Goddard sont si heureux. C’est ce que Paul-André va trouver chez Violette : une maison de guingois, mais joyeuse. Et pour la 3ème maison, celle de la mère de Paul-André, j’avais en tête la maison de Psychose comme référence. Pour ces décors, on a fait des plans et des maquettes, à la manière d’Alain Resnais, dont j’aime beaucoup le cinéma et  l’utilisation du studio. »

Sur le tournage du film Une famille à louer de Jean-Pierre Améris avec Benoît Poelvoorde et Virgine Efira.

« J’ai toujours été admiratif, fasciné, amoureux de la comédie américaine des années 1940-1950, de Frank Capra, de Gregory La Cava, comme La Fille de la cinquième avenue, de Lubitsch et j’ai toujours été fasciné par la façon dont ils filmaient les intérieurs avec tellement de recul. Comment filmaient-ils ces personnages en pied dans ces intérieurs ? On ne peut faire ça qu’en studio, qui permet d’enlever un mur et d’être un peu comme au théâtre. Pour ce film, j’ai rêvé de faire un plan de la chambre à coucher, où l’on voit Paul André (Benoît Poelvoorde) en pied, en pyjama, sortant de la salle de bains sur la droite, et Violette (Virginie Efira), sur la gauche, en train de séparer les deux lits.

La lumière solaire, c’est tout le talent Virginie Saint-Martin, la chef-opératrice et cadreuse, qui avait déjà fait la lumière de Marie Heurtin. Il fallait que ce soit chaleureux. La lumière et la décoration sont liées. Les couleurs sont chaudes. »

Sur le tournage du film Une famille à louer de Jean-Pierre Améris avec Benoît Poelvoorde et Virgine Efira.

« Ce sont des souvenirs d’enfance : cette armoire, les valises sur le dessus. Là, l’idée de la vitre en verre dépoli dans le mur est arrivée tardivement. C’est une idée formidable de la chef-opératrice, qui m’a permis ce gag où l’on voit Virginie Efira qui surgit derrière la vitre, quand Paul-André est en train de téléphoner en douce à son majordome pour lui demander de le rapatrier, comme François Truffaut apparaissant derrière la vitre dans La Chambre verte.

Pour la porte de la salle de bains en accordéon et en plastique, j’ai dû batailler avec le chef décorateur, qui trouvait ça très laid. Moi, ça me faisait rire. Je trouvais que ça participait à la vie de la maison. Ça fait un son. Le son que font les choses sont très importants : le frigo, la porte… La bande-son du film est très travaillée. On a beaucoup travaillé sur la présence de la voix des enfants et de la radio en off, une route n’est pas loin, etc. Il fallait créer cet univers sonore avec l’ingénieur du son et le monteur son. »

Sur le tournage du film Une famille à louer de Jean-Pierre Améris avec Benoît Poelvoorde et Virgine Efira.

« L’extérieur de la maison a été tourné en décor réel. Après beaucoup de recherches, on a trouvé une maison des années 1960 en banlieue parisienne. On l’a repeinte en bleu, comme la maison d’Erin Brockovich. Là, en studio, on avait fait un formidable jardin, avec un incroyable travail autour des plantes qu’on voyait à travers les fenêtres. « 

Sur le tournage du film Une famille à louer de Jean-Pierre Améris avec Benoît Poelvoorde et Virgine Efira.

« La cuisine est inspirée de celle de Sur la route de Madison. J’aime beaucoup montrer des films aux techniciens en amont. Je me suis toujours demandé, dans les mises en scène de films américains, comment ils faisaient pour avoir des fonds. En France, dans l’architecture des intérieurs, on se retrouve souvent avec quatre murs et une porte. Alors que dans Erin Brockovich, il y a toujours une pièce ou une lampe en arrière-plan. On a donc travaillé les fonds de telle sorte que, de la cuisine, on voie le salon, par exemple. C’est possible en studio et c’est ce qui est formidable. De la même manière, ce plan où l’on voit les personnages attablés en pied n’est possible à réaliser qu’en studio. J’essaye de plus en plus de travailler le plan large. J’aime beaucoup, par exemple, la cuisine de L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford ou l’intérieur de la ferme dans La Prisonnière du désert. C’est du plan large, on voit tout le monde en pied et on a l’impression d’être proche des personnages. J’ai toujours été fasciné par ces mises en scène classiques. »

Sur le tournage du film Une famille à louer de Jean-Pierre Améris avec Virgine Efira.

« Il y a un très beau travail de l’équipe de décorateurs, de l’ensemblière et de l’accessoiriste pour rendre ce décor vivant. Ce film est inspiré de mon vécu, de ma rencontre avec Murielle Magellan, ma compagne et coscénariste du film. Quand je suis arrivé chez elle et son fils, c’était à la fois étrange et joyeux pour moi, car c’était très en désordre – alors que je suis très maniaque. Cette histoire est la rencontre d’un homme et d’une femme issus de milieux très différents. »

Sur le tournage du film Une famille à louer de Jean-Pierre Améris avec Benoît Poelvoorde.

« Il y a quelque chose de très enfantin dans le film. Ces personnages jouent la comédie devant les enfants. Il jouent à la famille et c’est le jeu, la complicité, qui les sauvent. Il fallait que les décors aillent dans ce sens. Il fallait que les décors fassent sourire, comme ce frigo qui s’ouvre tout le temps. Il y avait un accessoiriste caché derrière, avec un bouton pour actionner la porte à des moments très précis dans les dialogues. »

Sur le tournage du film Une famille à louer de Jean-Pierre Améris avec Benoît Poelvoorde et Virgine Efira.

« Les scènes de voiture, sauf une où ils sont en forêt, on les a tournées sur fond vert. On rajoute après les paysages qui défilent. C’est tout de même plus confortable pour les acteurs que d’être tractés par un camion sur une route, avec moi sur le camion qui hurle au talkie qu’il faut refaire la prise. Mais c’est très délicat à réussir. J’adore les transparences chez Claude Sautet, mais en numérique, ça peut vite sembler faux. D’ailleurs, la scène de cette image n’est pas dans le film. J’ai beaucoup coupé au montage. On se trompe souvent sur ce qu’est la comédie. On l’associe beaucoup aujourd’hui au stand-up, à la culture de la vanne qui vient de la télé, tandis que moi, je suis plus dans la comédie au sens large, comme dans ce que j’aime chez Pascal Thomas, Pierre Salvadori ou Bruno Podalydès. »

Sur le tournage du film Une famille à louer de Jean-Pierre Améris avec Benoît Poelvoorde et Virgine Efira. Page de scénario.