Les Émotifs anonymes

Le charme discret de la timidité

Le réalisateur Jean-Pierre Améris envisage l’hyper-émotivité comme sujet de comédie romantique, et le couple Isabelle Carré – Benoît Poelvoorde en amoureux confus. Les Émotifs anonymes ou l’art du burlesque sentimental.

De Jean-Pierre Améris on connaissait le goût pour l’ancrage documentaire, la rigueur et l’humilité, la sensibilité et la discrétion devant de graves questions – la Résistance dans Le Bateau de mariage, la mort imminente et les soins palliatifs dans C’est la vie ou les clandestins de Calais dans le téléfilm Maman est folle. Je m’appelle Élisabeth, inspiré du roman d’Anne Wiazemsky, amorçait un tournant : il y sondait, avec une retenue un peu scolaire, les peurs enfantines sur fond d’univers psychiatrique. S’y esquissaient des rêves et cauchemars, l’amorce d’un monde fantasmé, une échappée vers l’imaginaire. Avec son sujet en forme d’aveu, Les Émotifs anonymes annonce la couleur : il s’agit là d’un film intime et personnel (c’est aussi son premier scénario original). « La peur a toujours été le sujet de mes films, mais la peur du regard des autres et de la perte du contrôle de soi, qui constitue l’hyperémotivité et qui m’est propre, est un thème que je n’aurais pas pu aborder il y a quelques années encore. Quelque chose s’est dénoué en moi et le moment est venu de lui donner une forme », explique Jean-Pierre Améris.

Soit une fabrique de chocolat hors d’âge, son patron, Jean-René (Benoît Poelvoorde, émouvant et précis) et une jeune chocolatière fraîchement débarquée, Angélique (Isabelle Carré, impeccable, toujours). L’un et l’autre, farouchement émotifs, tomberont amoureux et devront, pour se l’avouer, surmonter leur timidité maladive. Le réalisateur de Mauvaises fréquentations filme ce chassé-croisé sentimental sous un jour joyeux et distille sa mélodie du bonheur entre stylisation assumée, teintes chatoyantes, moments chantés ou dansés. Ici, nul franc dérapage, ni gadin majeur, mais un art du twist émotionnel discret : Isabelle Carré et Benoît Poelvoorde, silhouettes engoncées et œillades contenues, avancent de concert sur le fil entre maîtrise et abandon, rires et larmes. Un terrain mouvant sous tapis de velours carmin, qui induit un rythme étrange et séduisant : tantôt vif, tantôt en suspens, il laisse évoluer ces héros transis dans un espace pourtant confiné sous les souvenirs d’enfance et les plaisirs cinéphiles (The Shop Around the Corner ou The Sound of Music, entre autres, ne sont jamais très loin).