Annecy : L'animation en question
Le Festival international du film d’animation d’Annecy s’est tenu du 15 au 20 juin dernier. Retour sur un palmarès réjouissant.
« Lapin ! Lapin ! », c’est l’expression consacrée du public à chaque apparition du léporidé qui détale sur les écrans des salles combles, avant chaque projection. Dans la ville que l’on surnomme la petite Venise savoyarde, juin est le mois du surmoi et du ça de décompression. Parce que le cinéma d’animation permet toutes les fantaisies et toutes les transgressions, il y a ici un vent de régression polymorphe, assumée et contagieuse. Mais au-delà du défoulement jubilatoire, le palmarès 2015 de ce festival d’Annecy se révèle d’une maturité empreinte de métaphysique…
Le Cristal du long-métrage, décerné aux créateurs d’Avril et le Monde truqué, Franck Ekinci et Christian Desmares, récompense une œuvre adaptée d’un roman graphique de Jacques Tardi. Si l’univers du créateur des Aventures d’Adèle Blanc-Sec nous plonge dans les années 1940, au cœur d’un Paris imaginaire, avec ses deux tours Eiffel reliées par un téléphérique (décor inspiré d’un authentique projet de Gustave Eiffel) et de nombreuses machines vintage, tirées des collections du Musée des arts et métiers ; le scénario d’Avril et le Monde truqué s’inscrit bel et bien dans une post-modernité. La surveillance omnipotente et la science consacrée à la toute puissance comptent parmi les ingrédients de cette fable uchronique. On sort des aventures de la jeune Avril, partie à la recherche de ses parents mystérieusement disparus, avec une interrogation : et si le monde n’avait jamais été autrement que truqué ?
Et si les femmes avaient placé cette édition sous le sceau de questions existentielles ? Alors que la créatrice Florence Miailhe se voyait décerner un Cristal d’honneur, le prix du premier court-métrage revenait à Guida de Rosana Urbes. Pour l’animatrice brésilienne, « Guida est en quelque sorte un auto-portrait naïf ». Truculent et sensible, son personnage découvre ses atouts de séduction en devenant modèle pour un cours de dessin où, grâce au regard des étudiants, elle prend tour à tour les traits de la Vénus de Milo, d’un tableau de Picasso ou d’une photo de Man Ray… « C’est très important de souligner la présence des femmes dans l’industrie du cinéma d’animation », affirme Rosana Urbes. « Moi-même, j’ai souvent été la seule femme dans les studios Disney, où j’ai par exemple travaillé sur Mulan. Ça reste un milieu très masculin et, même si Annecy a voulu honorer les femmes cette année, il faut reconnaître que cette sélection ne comportait qu’une faible proportion de films réalisés par des femmes. »
Parmi elles, Sarah van den Boom qui, avec Dans les eaux profondes – prix Festivals Connexion – Rhône-Alpes –, livre un témoignage introspectif et touchant sur la gémellité et la perte de son « double ». Dans la même veine, We Can’t Live Without Cosmos de Konstantin Bronzit, Cristal du court-métrage, montre la relation fusionnelle entre deux cosmonautes, dont les rêves de voyage dans l’espace, teintés d’un humour poétique, mettent en relief la forte amitié qui les relie à la vie à la mort. Jusqu’à World of Tomorrow, mention du jury et prix du public pour un court-métrage dans lequel Don Hertzfeldt évoque les thèmes de science-fiction chers à Philip K. Dick. Voire l’idéologie transhumaniste ? Avec la multiplicité des technologies à leur disposition et l’infini potentiel de leur medium, les créateurs de cinéma d’animation sont sans doute les mieux placés pour évoquer la singularité du monde de demain…