Mouvement ascensionnel dans le grand froid

« Frost » signifie « gel » (le froid) en anglais ou en allemand. C’est le titre du nouveau film du lituanien Sharunas Bartas, présenté à la Quinzaine des réalisateurs (après Peace to Us in Our Dreams, l’année dernière) qui aura percé d’un éclair fulgurant le fog de la programmation du jour. Et pourtant, la noirceur et la misère de la guerre et des hommes qui se battent pour la liberté en Ukraine est au cœur du  voyage initiatique de Rokas et sa copine Inga (les doux Mantas Janciauskas et Lyja Maknaviciute), deux brebis égarées au volant d’une fourgonnette humanitaire quasi improvisée. Car ce sont deux âmes happées par le destin que Bartas a décidé de suivre dans ce road movie égrené de rencontres de plus en plus sombres. Le cinéaste déploie un regard très tendre sur cette jeunesse naïve qui s’interroge peu sur le sens de son engagement, conséquence d’un simple « ok » au détour d’une moue fragile et qui l’engage à foncer, pied au plancher, dans la gueule du loup. Si le contexte du film est politique, responsable, lucide, c’est sa poétique belle et écorchée qui l’élance. Des plans subtils, délicats, esthètes, comme toujours magnifiquement cadrés chez Bartas, emportent le spectateur dans un état de contemplation et de réflexion bouillonnant. Chantre d’un cinéma rare, généralement difficile d’accès, ou le temps est une prérogative essentielle (comme chez Tarkovski, par exemple) agrégeant parfois l’observation à l’ennui (mais pas davantage que dans la vie),  le cinéaste se met ici plus que jamais à la portée de tous, comme s’il voulait aussi servir le grand public. Et le quidam cannois attiré un peu par hasard par la présence (assez brève) de Vanessa Paradis dans le film (elle y est excellente) l’aura compris tant il n’aura pas claqué le fauteuil lors de la séance. Tenu en haleine par une compassion grandissante pour les personnages qui sont trimballés et chahutés (ce sont de vraies leçons de vie qu’encaissent Rokas et Inga), le spectateur se laisse définitivement emporter par le mouvement ascensionnel de ses palpitations et par la fin du film, inouïe et inoubliable.