Tale of Tales

Beautés et cauchemars

Le cinéaste romain Matteo Garrone, en compétition à Cannes le mois dernier, adapte au cinéma Le Conte des contes de Giambattista Basile et sculpte le relief d’une fresque tour à tour charnelle et horrifique. Fascinant.

 

Tale of Tales de Matteo Garrone : à retrouver sur CINE+ À LA DEMANDE.

C’est initialement un livre de contes. Écrit en langue napolitaine au début du XVIIème siècle par Basile, académicien, courtisan et soldat, il est publié de manière posthume à Naples entre 1634 et 1636, sous le titre Le Conte des contes ou Le Divertissement des petits enfants, avant d’être réintitulé Il Pentamerone (cinq journées). Une œuvre somme qui regroupe cinquante contes, inspirés d’une tradition orale et populaire de Crète et de Venise, qui influença Charles Perrault et les frères Grimm en leur temps.
Le réalisateur de Gomorra et Reality retient et entre-tisse trois de ces contes : Les Deux Vieilles, dans lequel un roi libertin (Vincent Cassel) est fasciné par une villageoise dont il n’a jamais vu le visage et ignore l’âge avancé ; La Reine, femme obsédée par le désir maternel (Salma Hayek), doit dévorer le cœur battant d’un monstre marin cuisiné par une vierge pour pouvoir enfanter ; La Puce et son monarque nain (Toby Jones) qui jette son dévolu sur une puce étrange et marie sa fille à un géant des montagnes.

Dans Reality, Matteo Garrone avait déjà exploré la frontière située entre le réel et le fantasme avec un personnage pris dans l’engrenage d’un show télévisé aliénant. Ce Conte des contes l’emmène un peu plus loin encore sur le terrain de la folie – tous ses personnages flirtent ici avec la déraison, la frustration, l’obsession. Mais c’est avec une tranquillité dans la mise en scène qu’il donne corps à ces êtres de papier. Le monstrueux est ici filmé à la lumière du jour, dans un décor naturaliste et somptueux où chaque pan de château ou de forêt trouve son relief et semble ainsi à portée de main. Les étoffes, tentures, les arbres ou le lichen des montagnes sont dotés d’un grain particulier et se font les décors subtils et inattendus de la démesure. On suit pas à pas, avec fascination, les errements de ces protagonistes hors norme et hors du temps : ils sont, face à la caméra, plus vrais et sensibles que nature. Il y a quelque chose de charnel dans cette fresque imaginaire, une présence marquante des corps souvent disgracieux qui dame le pion à l’artifice et l’outrance. Pour en faire l’expérience, encore faudra-t-il s’avancer quelques pas et ne pas rester en lisière du bois.