Le Syndicat Français de la Critique de Cinéma récompense Joyland

Entretien avec Saim Sadiq

Pour son excellent et très sensible premier long-métrage Joyland (lire ici notre critique enchantée), Prix du jury de la section Un Certain Regard et Queer Palm au dernier Festival de Cannes, Saim Sadiq reçoit aujourd’hui le Prix du meilleur premier film étranger, décerné par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma. Le réalisateur pakistanais exprime son lien à la presse cinéphile sur BANDE À PART.

 

Que représente pour vous ce Prix du Meilleur premier film étranger décerné par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma ?

La presse a été la meilleure alliée de mon film depuis qu’il existe. Ce prix en est la confirmation. Mon film est sorti dans plusieurs pays, mais je dois dire qu’en France, il a été particulièrement bien accueilli. Pour quelqu’un qui vient du Pakistan – territoire dépourvu de tradition cinématographique -, le pays le plus intimidant, c’est la France ! Je suis d’autant plus heureux que Joyland est vraiment très pakistanais dans son esprit, or il a été très bien compris et accueilli à l’étranger et en France en particulier.

Quel rôle joue la critique dans votre vie de cinéaste et de cinéphile ?

Un rôle important. Je lis tout ce que je peux trouver sur les films que j’aime, qui m’ont ému – plus que sur ceux qui m’ont déplu. Et j’ai lu tout ce que j’ai pu trouver sur le mien ! Cela m’aide à le comprendre. Cela m’est précieux aussi pour le prochain film que je souhaite réaliser : je cherche à mieux cerner l’impact de mes histoires, la manière dont elles sont accueillies pour mieux raconter les suivantes. Je veux être hyper conscient de la manière dont mon film est compris. C’est pourquoi les critiques bonnes, comme mauvaises, m’intéressent. Je veux tout lire, même les commentaires de spectateurs qui ne sont pas critiques et n’ont pas le langage pour exprimer leur avis avec discernement. C’est pourquoi j’explore beaucoup aussi le site Letterboxd.com. Je n’ai pas bâti mon film sur une structure classique, comme beaucoup de films américains, par exemple, ainsi suis-je attentif à la manière dont il est compris ou non. C’est pourquoi ce prix décerné par la critique française est vraiment un encouragement fort pour moi.

"Joyland" de Saim Sadiq - Copyright Condor Distribution
Joyland a-t-il été perçu par les critiques différemment selon les pays ?

Les critiques européens ont, me semble-t-il, le mieux compris mes intentions. Beaucoup de critiques américains se sont centrés sur la romance et n’ont pas été très attentifs aux autres aspects du film. En Europe, les critiques ont perçu davantage toutes les couches du scénario. C’est, du moins, mon impression. En France, les critiques sont passés outre le fait que le film provient d’un pays musulman et tourne autour d’un personnage de femme trans ; ils ont vu tous les aspects du film.

Y a-t-il une presse cinéma active au Pakistan ?

Malheureusement non. La télévision domine le cinéma au Pakistan. La presse rend surtout compte du box-office et critique rarement en profondeur ce qui s’y produit. Mais il y a une nouvelle vague de jeunes blogueurs qui sont plus intuitifs, curieux, et que je trouve plus intéressants à lire que la presse pakistanaise établie de ce point de vue.

Joyland a-t-il bien été accueilli dans votre pays ?

Très bien. La presse en a beaucoup parlé et de manière élogieuse. Certains, conservateurs, ont été mal à l’aise, mais ils ne l’ont pas démonté pour autant.

En quoi l’aventure de ce film vous a-t-elle changé ?

Je crois que je suis moins naïf aujourd’hui. Cette naïveté, cette innocence a du bon lorsqu’on fait un premier long-métrage, car elle vous porte. Je ne sais pas si la maturité va la remplacer, mais me voici plus conscient de ce que faire un film représente. J’ai vécu avec ce projet pendant sept ans et je me sens un peu vidé depuis qu’il est achevé. J’ai d’autres histoires à raconter en moi, mais je ne sais pas encore vers où je vais aller.

Un vœu ?

Je voudrais retrouver l’excitation que représente le fait de vivre avec une histoire en soi et la conviction de pouvoir en faire quelque chose. Je fais le vœu de pouvoir bientôt retrouver un plateau de cinéma, car c’est là où je me sens bien !