Le Retour des hirondelles de Li Ruijun

Laissés pour compte

Leurs familles les marient comme pour s’en débarrasser. Et Ma et Cao, contre toute attente, forment un vrai couple. Dur au travail et aux petits soins l’un pour l’autre. Voilà un grand film simple et bouleversant.

Un repas de famille. Un homme et une femme sont mariés de force. Il est le dernier de la fratrie de paysans et il reste donc peu d’argent pour la dot, à peine un lopin pour son installation ; elle est handicapée et incontinente et personne n’en veut. Dans la tradition chinoise, c’est inespéré de pouvoir unir ces deux-là, comme on attache ensemble une paire d’ânes mal assortis, dont personne n’ose espérer qu’ils sauront tirer une charrette. Une bonne affaire, en quelque sorte. Tout le monde se frotte les mains et bon débarras. Ma est silencieux, résigné ; il la couvre quand elle a froid, cache les taches qui auréolent son pantalon, lui rend sa dignité avec des riens. Alors elle fait tout pour l’aider, de sa seule main valide, de sa démarche parfois hésitante.

Le Retour des hirondelles de Li Ruijun. Copyright Qizi Films Limited.

Dans le lent et long labeur qui consiste à se construire une maison et une vie à soi, Ma et Cao, patiemment, se complètent et s’épaulent. Peu à peu, ce qui naît entre eux, au-delà de deux solitudes qui se trouvent, c’est un sentiment merveilleux et si simple, tissé de bonté, de tendresse et d’amour. Au début, les cadres dans les cadres disent à quel point tout cela est hiérarchisé et étiqueté. Et puis, des plans somptueux de nature aride, dominés par les verts et les ocres, ouvrent le champ des possibles. 

Ces pauvres gens, pliés, courbés, mais ensemble, sont regardés dans la beauté et la grandeur qui est la leur. Ce que dit ce film, c’est aussi à quel point la politique chinoise prônant la fin de la pauvreté est loin d’être arrivée à son but. Et que les traditions séculaires mettent certains êtres humains plus bas que terre. Sans asséner de grands discours, le film dit toute l’injustice et la rudesse en suivant pas à pas ce couple si lié qu’il en devient bouleversant. La force des faibles est ici exaltée par une succession de tableaux du quotidien. Le rythme des saisons s’enchaîne doucement, et on suit comme dans un thriller ces jours et ces nuits de deux laissés-pour-compte.