Westworld

L’illusion d’un rêve

Et si le monde dans lequel nous vivons n’était qu’une illusion ? Voilà le point de départ de multiples fictions, depuis la nuit des temps, du moins depuis l’allégorie de la caverne de Platon. Mais cette fois, la série Westworld propose une réponse un peu “twistée”…

Il y a des projets qui ressemblent un peu à la baleine du capitaine Achab. Voilà des années qu’on en entend parler et qu’on nous annonce les avoir vus pointer sur la ligne d’horizon. Sauf qu’ils n’arrivent jamais. Et dans le genre, on n’en pouvait plus d’entendre parler de Westworld.

L’adaptation du roman de Michael Crichton (l’heureux auteur de Jurassic Park) avait déjà été tentée en 1973. Le film n’est pas resté dans les annales, tout comme sa suite, en 1976, a été vite oubliée.

En 1980, CBS tente l’adaptation télé, déprogrammée au bout de trois épisodes. Il faudra attendre 2002 pour qu’un acteur en reparle. Mais Schwarzie préférera les élections californiennes. En 2011, Warner s’y frotte aussi. Pour laisser tomber. Autant dire qu’on n’espérait plus voir ne serait-ce que l’ombre d’un fanion d’un Westworld.

Jusqu’à ce que HBO se penche sur les flots, attrape son harpon, et vise dans le mille. À la barre, J.J. Abrams et Jonathan Nolan au scénario, avec sa femme, Lisa Joy. Et pour affréter le meilleur navire au monde, HBO et ses 25 millions de dollars investis pour un pilote qui s’avérera concluant et conduira la chaîne à commander au moins une première saison.

Et au final ? Wow !

L’histoire n’est pas si compliquée : Westworld est un parc d’attraction qui recrée l’Ouest américain du temps des shérifs et des bandits (manchots ou pas), dans lequel des humains fortunés peuvent laisser libre cours à tous leurs fantasmes. Des rêves d’aventures aux envies de meurtre, ils peuvent tout faire : de toute façon, la population de Westworld n’est pas “vraie”, ce sont des androïdes hyper sophistiqués.

Programmés pour permettre à tous de “jouer”, selon des scénarios qui s’imbriquent, mis en place par toute une infrastructure qui, tous les soirs, remet le “jeu” à zéro. Sauf que l’inventeur de tout cela, Robert Ford, ne cesse de pousser plus loin la ressemblance et cherche à ouvrir la boîte de Pandore la plus dangereuse : celle de la conscience.

Si les androïdes se mettent à rêver, à se souvenir, à ressentir et à réfléchir, il y a fort à parier qu’ils se rebellent et que les profits s’écroulent.

L’idée de départ est donc – presque – simple. Le résultat est époustouflant. Parce que, à mesure que se déroulent les épisodes, l’intrigue semble se simplifier en enjeux “humains” et se complexifier à la fois en implications. Parce que, du créateur aux scénaristes en passant par les techniciens, les humains sont les “étrangers”. Et les androïdes, ceux dont on adopte le point de vue. Et que, dans ces conditions, Westworld nous force presque à l’empathie. Impossible de ne pas compatir, impossible de ne pas imaginer, de ne pas transposer. Si les androïdes rêvent, alors pourquoi seraient-ils moins humains ?

Sans aucun manichéisme, presque sans grands discours, mais en montrant efficacement et en surprenant, Westworld accroche. Et nous pousse, nous aussi, à la réflexion.

Sous des dehors de grand spectacle, remarquablement réalisé et à la sublime esthétique par ailleurs, la série est beaucoup beaucoup beaucoup plus intelligente qu’elle ne voudrait le faire croire.

D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, les éminences grises n’ont-elles pas annoncé comme “probable” l’idée que nous puissions vivre, nous aussi, dans une “simulation” ?

Au-delà de ces vastes questions existentielles traitées tout en finesse, Westworld repose la question de l’intelligence artificielle.

Elle fait voler en éclat les trois règles d’Asimov qui régissent la science-fiction depuis ses débuts, notamment en ayant l’intelligence de prendre le point de vue des machines. Les machines rêvent, ont conscience, pleurent, et leur créateur, Robert Ford, s’échine à leur donner de plus en plus de caractéristiques “humaines”, illustrées par ces petits gestes inutiles, des tocs que l’on a tous.

Une réflexion sur l’intelligence artificielle, donc, mâtinée de réflexion sur le divertissement, l’art du spectacle et du storytelling comme on en a peu vu, ce qui ne gâche rien à l’affaire.

Et de fait, à l’écran, impossible de savoir de prime abord si on a affaire, au sein du parc, à un androïde ou à un visiteur… La confusion est remarquable sur ce qu’elle induit pour le spectateur qui, à un moment, se demande presque s’il a le “droit” d’avoir peur, ou d’être triste à l’endroit de tel ou tel personnage, ne sachant pas s’il est humain ou machine. Étrange sensation que de voir son empathie “testée” ainsi, que de se rendre compte que l’intellect peut vouloir la “rendre sélective”.

Avec un budget de 100 millions de dollars (deux fois plus que Game of Thrones, autre référence “maison”), Westworld s’annonce donc comme la Rolls de ce qui se fait actuellement en série télé. Reste à voir si le reste des épisodes de la saison 1, pas encore diffusés,  et les prochaines saisons seront à la hauteur. Mais si la réputation de la maison mère se vérifie encore une fois, alors, comme Game of Thrones reste la meilleure série “politique & entertainment” du moment, Westworld pourrait bien être la meilleure série “dystopie SF et entertainment” qu’on ait à voir pendant longtemps.