Un festival face à l'Atlantique

Retour sur le 5e Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz

Le Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz vient de s’achever en célébrant ses trois grands vainqueurs : Monsieur de Rohena GeraChien de garde de Sophie Dupuis et Tel Aviv on Fire de Sameh Zoabi. Retour sur ce palmarès et sur quelques coups de cœur.

 

À la tête d’un jury exclusivement composé de femmes (#MeToo est passé par là !), la comédienne Corinne Masiero s’avance vers le pupitre de la scène du cinéma Le Sélect, un verre de rouge à la main. Impeccable dans son rôle d’Hunter S. Thompson au féminin, elle charrie le public, s’excusant d’être ivre et demandant si, par hasard, quelqu’un dans la salle n’aurait pas de la cocaïne. Mais très vite, elle se fait plus grave. Il y a un sujet sérieux qu’elle aimerait aborder. La salle s’obscurcit, on projette sur l’écran un portrait d’Oleg Sentsov, ce réalisateur ukrainien prisonnier politique en Russie qui, depuis plus de cent vingt jours, tient une grève de la faim (qu’il a arrêtée le 6 octobre pour éviter d’être nourri de force). L’héroïne de Louise Wimmer, fière militante de gauche (plutôt insoumise que socialiste) ne rentre pas dans les détails. Elle précise simplement que « ce mec » se bat pour la liberté, et enjoint le public de le soutenir, d’une manière ou d’une autre. La salle se rallume. Si le combat continue, place d’abord aux festivités. Corinne Masiero sort son carnet de notes, un petit livre rouge. « Coco un jour, coco toujours« , plaisante-t-elle. Les prix sont annoncés.

Double jackpot

Si le festival de Saint-Jean-de-Luz offre de nombreux prix, trois films sont, plus que les autres, récompensés. Deux films remportent, ex aequo, le Grand Prix. D’abord, Tel Aviv on Fire, film franco-israélien de Sameh Zoabi, qui fait le doublon avec le Prix du jury jeune – une histoire du conflit israélo-palestinien racontée par le prisme de la pop culture. Ou le quotidien d’un jeune Palestinien travaillant sur le tournage d’un soap opera israélien. La deuxième moitié du Grand Prix revient à une autre coproduction française, avec l’Inde cette fois. Monsieur, film de Rohena Gera qu’on a déjà pu voir cette année à la Semaine de la Critique à Cannes, traite également de l’opposition de deux mondes (ici, les riches et les pauvres) qui cohabitent étroitement au sein du même espace. Le Grand Prix de Rohena Gera est également doublé, cette fois du Prix du public. Le festival de Saint-Jean-de-Luz aime décidément les prix doubles, puisqu’un autre film a quitté la Cité des Corsaires avec deux prix : Chien de Garde de Sophie Dupuis. Le film québécois, récompensé du prix d’interprétation masculine pour ses deux acteurs principaux et du prix de la mise en scène, suit le parcours de deux voyous dans un Montréal bien plus proche du New York de Scorsese que de Xavier Dolan.

Hors compétition

Avant de se poursuivre au casino de la ville pour une soirée rythmée par des tubes des années 1980-1990, dans une salle de réception située quelques mètres au-dessus des « douces sonorités des jeux électroniques » (selon les propos du directeur du casino, Gilles Elissalde), le 5e Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz s’est achevé comme il se doit par une projection. Cinq ans après avoir présenté en clôture Les Souvenirs, Jean-Paul Rouve, casquette réalisateur, présentait cette fois Lola et ses frères, son quatrième film. Si le titre de ce film évoque Visconti, et un certain Rocco et ses frères, les références du cinéma de Rouve sont plutôt à chercher du côté de Claude Sautet, la franche comédie en plus. Car ce deuxième film, très drôle, reste tendre sans se noyer dans sa mélancolie, comme c’était le cas des Souvenirs.

Mais il y a un film qui, peut-être plus que les autres encore, a marqué les esprits à Saint-Jean-de-Luz : Pupille de Jeanne Herry. En réussissant le pari d’être à la fois surprenant, touchant, amusant et formidablement instructif, Pupille est peut-être le grand film qu’on attendait sur l’adoption. Pour ceux qui s’interrogeaient sur ses rouages, voici le film à voir. Jeanne Herry multiplie les points de vue, les situations, toujours sans manichéisme et sans sacrifier ses personnages. Une œuvre importante et un très beau film, qu’on regretterait presque de ne pas avoir vu en compétition. Mais on se ravise bien vite : avec son casting exceptionnel (Sandrine Kiberlain, Gilles Lellouch, Elodie Bouchez), et un bouche-à-oreille qu’on devine très fort, le film chemine avec confiance vers sa sortie, le 5 décembre prochain.