Temps forts du Festival Cinémondes à Berck-sur-Mer

7-12 octobre 2022

Découvrir le réalisateur québécois Louis Bélanger fut la cerise sur le gâteau d’un festival consacré au cinéma indépendant et engagé.

Berck-sur-Mer, Côte d’Opale. Des ciels d’un bleu insolent, le jour ; furieux comme peints d’orange et de rage à la nuit tombée. Et sur les écrans du Cinéma Cinos, le monde comme il va (et ne va pas), via les regards humanistes et sensibles de cinéastes engagés, concernés. Par l’écologie, l’éducation, la lutte contre l’injustice…
Quatorze courts-métrages de tous horizons en compétition, un programme de documentaires, dont ceux présentés à l’ACID au Festival de Cannes 2022, et deux hommages à Robert Guédiguian et Louis Bélanger. Chaleur humaine et valeurs idoines au programme, devant des salles le plus souvent archipleines… ce qui n’est pas si fréquent par les temps qui courent. Ça peut paraître naïf, mais le festival Cinémondes met en pratique les valeurs défendues sur ses écrans. Et spectateurs, équipes, bénévoles, invités, échangent constamment, joyeusement et simplement pendant ces cinq jours très denses.
Si on ne présente plus Robert Guédiguian, sa présence et la rétrospective de sept de ses films assortis d’une « Carte blanche » et d’une « causerie », dans les premiers jours du festival, ont donné un élan, une impulsion, un mot d’ordre. Ainsi entraîné, Cinémondes pouvait se déployer et embarquer ses spectateurs pour un voyage plein de surprises.
La moindre d’entre elles ne fut pas la découverte, en cinq longs-métrages et trois courts, de l’œuvre, quasi inconnue en France, du réalisateur québécois Louis Bélanger. Se définissant lui-même comme un « voleur de bouts de vie », Bélanger, né en 1964, d’abord scénariste puis assistant réalisateur, est passé derrière la caméra dès 1990 pour raconter son pays, sa langue, sa famille d’origine modeste, un monde en train de disparaître… Avec son premier long- métrage, en 2000, Post Mortem, ce lecteur du journal s’inspire d’un fait divers réel survenu en Roumanie, et propose un regard singulier et dérangeant sur deux solitudes (avec Sylvie Moreau et Gabriel Arcand). Le suivant, trois ans plus tard, aurait pu être son premier. Dans Gaz Bar Blues, Bélanger se remémore sa jeunesse et rend un hommage vibrant, chatoyant, émouvant et drôle, à son père, propriétaire d’une petite station-service, et à la faune qui s’y rendait chaque jour. De même dans son dernier film à ce jour, Vivre à 100 milles à l’heure (2019), Bélanger narre également sa folle jeunesse et l’amitié indéfectible qui l’a accompagné toute sa vie. Ainsi qu’un rapport récurrent dans tous ses films au lien, au legs, et à l’illégalité… Mais, comme il l’a signalé lors des débats et de sa « causerie » animée par le directeur du Festival Cinémondes, Dominique Olier, les souvenirs, si vrais soient-ils à la base, n’empêchent pas de mentir un peu. Voire beaucoup. Dans une veine moins autobiographique, le road movie tragi-comique qui parle de deuil et d’amitié, Route 132 (2010), d’après un scénario coécrit avec l’un des deux acteurs principaux, Alexis Martin, est un bonheur de chaque instant.

Comme Les Mauvaises Herbes (2017), fantaisie enneigée où un acteur de théâtre endetté (Alexis Martin, de nouveau devant la caméra et coauteur du scénario) fuit la ville et se cache dans une province reculée. Là, un vieux bougon (Gilles Renaud) le séquestre, car il a besoin de main d’œuvre pour mener à bien sa production personnelle et illégale… Primé au Festival du Film Francophone d’Angoulême, Les Mauvaises Herbes est l’un des rares films de Bélanger à avoir été distribué en France (*) Prophète en son pays, Bélanger, quasi inconnu chez nous, a conquis le public de Berck-sur-Mer par ses films et sa présence. Lançons ici un appel afin que son prochain long- métrage soit scruté de près par les distributeurs français et génère une ressortie de quelques-uns de ses beaux films généreux, émouvants et drôles !

Parmi les autres découvertes, et parce qu’il faut bien choisir, citons un superbe court-métrage : Kelasi de Fransix Tenda Lomba. C’est un petit bijou d’invention pour dire, via la peinture, le dessin, le collage et l’animation, et en dix petites minutes, l’histoire d’un pays, le Congo, et tout son passé colonial qu’on n’apprenait pas sur les bancs des écoles belges. « Kelasi » signifie « classe » ou « leçon » et en partant des cahiers de sa propre mère, qui était institutrice, l’artiste plasticien réalise son premier court, qui est aussi un cours d’histoire très passionnant. Il a remporté le prix du Jury de la Critique cinématographique, à l’issue de ce formidable festival.

Isabelle Danel