Ryan Gosling

L'ange noir

Il est le bel homme que tout le cinéma américain courtise, le nouvel acteur acclamé, le dernier des chéris, la coqueluche dont s’entichent les jeunes femmes. Leonardo DiCaprio et Brad Pitt sont déjà passés. Ryan Gosling se voit projeté pleins phares, dans le cercle brillant de la célébrité éclatante, merveilleux sex-symbol bourré de charme et de séduction. L’ascension n’en finit plus : il grimpe. De plus en plus haut, de plus en plus désiré. On fantasme le grand blond beau gosse en maître SM de l’adaptation de Fifty Shades of Grey, le best-seller érotique et mondialisé d’E.L James. Un tel film de chair chic serait à mille lieues de l’histoire timide qu’il menait au bras intime d’Une fiancée pas comme les autres (2008) de Craig Gillepsie. Raie sur le côté, moustache surannée, il filait le fol amour avec une poupée gonflable : fausse fille sublime, vraie vie sentimentale, puissant trouble. Ryan Gosling n’est sans doute pas un amoureux comme les autres. Comment le filme Terrence Malick, qui l’enlace à Ronney Mara, dans son prochain opus ?

Ryan Gosling tourne les têtes. Il tourne comme une bête. 2013, année Gosling ? On l’a vu dans Gangster Squad de Ruben Fleischer : il joue armé, flingueur, incorruptible et amoureux, flic joli cœur enrôlé dans une brigade secrète pour traquer ce salaud de Mickey Cohen, souverain parrain dans les années 1940 à Los Angeles.
Derek Cianfrance qui l’avait dirigé dans le bouleversant Blue Valentine (2010), variation romantique et désenchantée sur le couple, le confronte à l’amour compliqué dans The Place Beyond the Pines, film magistral, dévasté et décadent, qui traque ses fêlures et lui fait la peau. Il trace sa route à moto, à toute vitesse, brûlant sa fureur de vivre, roulant sa rage.
Nicolas Winding Refn qui l’avait installé avec Drive (2011), Prix de la mise en scène au festival de Cannes, au volant d’une voiture folle et d’un polar excessif, pulsionnel et crépusculaire, l’enchaîne encore à la violence et au cœur d’un récit mafieux et radical.
Il le transporte musclé et en Asie dans Only God Forgives, à la tête d’un club de boxe thaï qui couvre un trafic de drogue ; ça balance, ça cogne, ça tue. Monté sur le ring du thriller dramatique, Ryan Gosling en sort le visage en sang, tuméfié, battu, défiguré. Il prend des coups, il prend des risques.  La filmographie s’épaissit, avec ce rôle aux poings, de belle gueule cassée, que l’on pourra voir comme une ligne de carrière. L’acteur brise l’image trop belle en ce miroir. Le physique idéal vole en éclats.

Beau mec moderne et furieusement sexy, le comédien canadien aurait pu s’encombrer de cette image forte, s’il n’avait tôt évité soigneusement les personnages lisses. Débusqué minot par Disney, gamin de l’animation du Mickey Mouse club, comédien adolescent de séries télé, Ryan Gosling aurait pu tourner en acteur chewing-gum, collé à une image sucrée, vaguement élastique. Le cinéma indépendant a changé sa chance et l’a révélé en ange noir et torturé, façonné par des rôles complexes et ambigus – Calculs meurtriers (Barbet Schroeder, 2002), The United States of Leland (Matthew Ryan Hoge, 2003), Half Nelson (Ryan Fleck, 2006). Dès ses débuts, il a étonné, inquiétant et brutal en 2001 quand Henry Bean lui donne l’identité trouble de Danny Balint,  garçon buté et dangereux, juif et antisémite, affilié à un groupuscule nazi à New York dans les années 1960.  Avec ce film, il devient évident pour tout le monde que Ryan Gosling, découvert un peu plus tôt dans Le Dernier des combats de Boaz Yakin, en armure de footballeur, trace une ligne de fuite en zone grise. Entre instabilité et indécision, on n’est jamais sûr qu’il soit reconnaissable : sa manière d’échapper désarçonne.

Ryan Gosling peut dans l’instant parcourir le spectre des émotions, passer du trou noir à la lumière, de l’absolue dureté à la rêverie enfantine, de la violence à la langueur. Le style de jeu est ouvert, comme un vaste répertoire de possibilités. La présence physique du corps athlétique ne fait jamais obstruction à l’état mental. Les circonvolutions cérébrales refluent et débordent. La mélancolie attend toujours au coin des yeux pour jeter son voile obscur.
L’acteur est musicien. Avec Zach Fields et son groupe néo-burtonnien, les Dead Man’s Bones, il chante des mélodies gothiques amères et délicieuses, qui font grincer les os et rire les enfants en choeur. Courtney Love rêve Ryan Gosling en double de cinéma de Kurt Cobain. Evidemment, il serait incontestable et foudroyé. Il vacillerait et il serait sublime.