Alex Ross Perry

Le cinéma des émotions

Beaucoup de réalisateurs étaient cette année à l’honneur du Champs Elysées Film Festival. Derrière le géant Jerry Schatzberg, se cachait un cinéaste plus débutant mais néanmoins talentueux, Alex Ross Perry. Entre esthétique vintage et héritage cassavetesien, retour sur la filmographie méconnue du jeune prodige du cinéma « indépendant » américain.

Dans les tops 50 des « films pour hipster » – aux cotés de Wes Anderson et du Her de Spike Jonze – on voit son nom souvent apparaître. Il faut dire que le cinéma d’Alex Ross Perry reprend tous les clichés du sous-genre : des affiches et un title design très vintage, une certaine passion pour le tournage en 16 mm, et des personnages artistes ou aspirant à l’être. Le combo gagnant étant atteint avec son film le plus célèbre, Listen up Philip, tourné à New York en pellicule sur un personnage d’écrivain célèbre et dépressif, joué par l’acteur fétiche de Wes Anderson, Jason Schwartzmann.

Mais sous cet enrobage très à la mode se cache une filmographie d’une grande cohérence, et qui lorgne davantage sur John Cassavetes que sur La Famille Tennenbaum, faisant la part belle au jeu de ses acteurs. Dès ses premiers films, ses obsessions apparaissent : des personnages un peu paumés, pas toujours assez forts pour des relations sentimentales et familiales faciles à résumer mais complexes à vivre. Dans Impolex, premier film réalisé pour quelques dollars avec des amis, le scénario bricolé (un soldat chargé de récupérer des missiles éparpillés en pleine forêt) était surtout un prétexte pour construire des personnages étranges, un peu absents, comme déphasés ; et pour écrire des dialogues mélancoliques longs comme des tirades, mais simples, beaux et tendres. Peut-être ne le sait-il pas encore au moment de réaliser Impolex, mais ces textes, toujours dit par des femmes, et qui ne sont pas sans rappeler certains monologues de Jean-Luc Lagarce, deviendront sa marque de fabrique.

Ces répliques, déclamés par Kate Lyn Sheil dans Impolex, Carlen Altman dans The Color Wheel ou Elisabeth Moss dans Queen of Earth, dépourvues de fioritures ou d’effets de style, brillent de leur naturel qu’on croirait improvisé. Et pourtant, on a envie de s’arrêter et de les prendre en note tant ils peuvent être touchants, bouleversants, l’air de rien. Car le cinéma d’Alex Ross Perry, s’il affirme un style, n’en est pas moins humble. Et c’est peut-être cette sobriété, cette apparente simplicité qui rend ses personnages si beaux. Avec sa caméra toujours légèrement en mouvement, Perry n’hésite pas à faire de longs plans-séquences dans ses scènes de dialogues, en jouant de la proximité avec ses acteurs. Les voilà allongés sur un canapé, dans une séquence de The Color Wheel. Elle parle de choses légères, sur le ton de la blague. Elle l’imagine Lui, en prof de fac un peu trop sérieux, charmant s’en sans rendre compte une étudiante. Ça le fait sourire, elle rit. La discussion se poursuit, longtemps. Il l’écoute parler. Et puis ils s’embrassent, pour la première fois, naturellement, simplement. Ils font l’amour, tendrement. Et tout au long de cette (longue) séquence, sans cut, Perry n’aura filmé que leurs visages, alternant entre Elle et Lui, dans le grain particulier de l’image noir et blanc 16mm, qui permet à la fois la proximité et la distance. Avant ça, dans Impolex, c’est Kate Lyn Sheil qui avouait à coup de souvenirs à son ex-copain un peu amorphe à quel point elle l’aimait plus que lui ne l’aimait. Plus tard, dans Queen of Earth, c’est Elisabeth Moss et Katherine Waterson qui se souviennent tour à tour de leurs histoires d’amour avortées. Le procédé est toujours le même, et pourrait faire figure de système, d’astuce de facilité, s’il n’était pas à chaque fois si efficace. Des monologues ou tirades qui semblent improvisés, une grande dose de la mélancolie, et une caméra légère mais argentique qui s’installe avec ses personnages.

Mais Perry sait également faire rire, avec la même finesse et légèreté qu’il sait émouvoir. Dans The Color Wheel, les dialogues sont intelligents, cultivés, acerbes et drôles comme dans un bon Woody Allen. Dans Listen up Philip, la cocasserie des situations et le décalage de certains personnages évoque la série d’Aziz Ansari, Master of None, qui doit être largement inspiré du cinéma d’Alex Ross Perry.
Si vous l’avez manqué au Champs Elysées Film Festival, le distributeur Potemkine a édité en vidéo tous ses films (sauf le très rare Impolex) avec de superbes jaquettes. Sinon, le réalisateur revient au cinéma très prochainement pour Golden Exits, une histoire de familles à Brooklyn, avec Jason Schwartmann et Chloe Sevigny. Hâte ?