À la redécouverte de John Sayles

En dix-sept films, aux genres très divers, mais à l’humanisme constant, la Cinémathèque française offre le portrait d’un cinéaste américain engagé à redécouvrir absolument.

Du 20 octobre au 13 novembre, la Cinémathèque française consacre une rétrospective plus que bienvenue à John Sayles. Réalisateur, scénariste, occasionnellement acteur dans ses films et ceux de ses amis, ce poulain de Roger Corman (producteur et réalisateur prolifique, qui a notamment lancé les carrières de Francis Ford Coppola, Jack Nicholson, Martin Scorsese, Joe Dante ou encore James Cameron) reste mal connu du public français.
Majoritairement pour des questions de distribution, puisque nombre de ses films n’ont jamais, hors festivals, atteint l’hexagone (Return of the Secausus Seven, Liana, Casa de los Baby…) ou n’y ont connu qu’une exploitation, désormais très lointaine, en vidéo ou à la télévision (Baby it’s You, Matewan, Les Coulisses de l’exploit). La projection en salle de ses films (à l’exception du dernier, Go for Sisters) devrait permettre de mieux comprendre le cinéaste au cœur à gauche (sa société de production se nomme Anarchist’s Convention Films, ce qui n’est pas anodin). Quel qu’en soit le genre (comédie, science-fiction, drame, reconstitution, polar), tous les films de ce cinéaste humaniste sont traversés par des problématiques historiques, sociales, économiques, qui font de lui un observateur précieux de l’Amérique de ces dernières décennies.
Pour en juger, on se plongera plus particulièrement dans quatre œuvres très différentes, représentatives des multiples facettes de son talent :
Brother (1984), unique incursion du réalisateur dans la science-fiction, montre également une couleur méconnue de son cinéma : l’humour. L’histoire de ce Candide extraterrestre, incarné dans le corps d’un homme noir, est un superbe portrait d’un New York populaire et métissé, doublé d’une fable caustique, aux péripéties burlesques. Sayles se sert du genre et du rire pour faire passer le message humaniste qui irrigue tout son cinéma.
La conscience politique du cinéaste s’exprime littéralement dans Matewan (1987), inspiré par le conflit qui opposa, dans les années 1920, des mineurs de Virginie occidentale à leurs patrons. D’une facture splendide (c’est la première des quatre collaborations du réalisateur avec le génial chef-opérateur Haskell Wexler), ce drame social représente la part lyrique de sa filmographie. Et la fusillade finale, sèche, chorégraphiée et épurée, se doit d’être vue sur grand écran.
Les amateurs de mélo se jetteront sur Passion Fish (1992), qui suit la relation d’amitié se nouant entre une actrice de soap aigrie, paralysée des jambes, et son infirmière. C’est moins la trajectoire attendue de ce parcours que l’amour que le réalisateur porte à ses personnages, servis par des dialogues remarquables, qui fait le prix de ce beau film, jamais mièvre.
Il faut évidemment découvrir son premier film Return of the Secaucus Seven (1979), chronique de retrouvailles amicales, qui annonce, quatre ans avant, Les Copains d’abord de Lawrence Kasdan. Tout comme Baby It’s You (1983), touchante romance rythmée par les chansons de Bruce Springsteen (une première au cinéma), ou encore le superbe Lone Star  (1996) qui le fit enfin connaître d’un public plus large. Mais si un film doit être réhabilité sur grand écran, c’est assurément City of Hope (1991). Cuisant échec en son temps, quasi impossible à voir aujourd’hui, ce film choral est probablement son grand œuvre. D’une virtuosité rare, toujours au service de son histoire, le cinéaste croise les destins de plusieurs personnages, usant de longs plans et d’intrigues entremêlées pour montrer la complexité d’une ville (New York, encore) et de ses habitants. Un très grand film.
Au-delà des œuvres, la rétrospective devrait également mettre en lumière son amour des acteurs, lui qui a notamment offert de beaux rôles à James Earl Jones, Mary McDonnell, Angela Bassett, Charlie Sheen, Kris Kristofferson ou encore Matthew McConaughey, mais qui a surtout révélé (et régulièrement convoqué) les talents de deux piliers du cinéma indépendant américain, les très précieux David Strathairn et Chris Cooper. La rétrospective s’attachant exclusivement à ses réalisations, on la complétera avec plaisir en dénichant en VOD, sur le câble ou en DVD, certaines des réjouissantes séries B pleines d’humour qu’il a écrites au début de sa carrière, dont les titres (L’Incroyable Alligator, Hurlements, À armes égales ou Du rouge pour un truand) sont déjà tout un programme.

François-Xavier Taboni