Go For Sisters

Sorority Blues

En bouquet final de la rétrospective John Sayles, la Cinémathèque française propose sur sa plateforme gratuite, le dernier film à ce jour du grand réalisateur indépendant. Découvrez Go for Sisters, c’est du bonheur.

Attention, ça durera jusqu’au 30 novembre, mais tout le monde peut y accéder ! En complément de la rétrospective dans ses salles des 17 longs-métrages écrits et réalisés par John Sayles, voici, sur la plateforme Henri de la Cinémathèque française, le 18e à ce jour. Réalisé en 2013 et jamais sorti sur nos écrans, Go for Sisters trimballe tout ce qu’on aime dans le cinéma du réalisateur de City of Hope, Lone Star et Passion Fish. Son humanité, sa capacité à mêler l’intime et le politique, à donner la parole à ceux qu’on n’entend ni ne voit pas si souvent. Plus son talent pour dénicher des interprètes d’une justesse sidérante et son impressionnante direction d’acteurs.

Il agrège ici, pour une équipée entre les États-Unis et le Mexique, deux femmes afro-américaines et un vieux Mexicain. Bernice, agent de probation et mère d’un jeune homme, Rodney, dont elle est sans nouvelles, part à sa recherche lorsque le petit trafiquant avec lequel il avait été vu récemment est retrouvé assassiné ; elle demande l’aide de Fontayne, ex-droguée en liberté conditionnelle, qui vient de passer par son bureau et dont elle était proche à l’adolescence. Cette dernière, ayant un certain nombre d’entrées dans le milieu, déniche la personne capable de les emmener là où Rodney se trouve d’après ses indicateurs, c’est-à-dire de l’autre côté de la frontière, à Tijuana. Il s’agit de Freddy Suarez, un vieux flic à moitié aveugle, qui a été mis à pied sans pension et demande une somme rondelette pour les aider… 

Si on peut reprocher quelques facilités et raccourcis du scénario (qu’on accepte parfois sans ciller dans les grosses machines hollywoodiennes), Go for Sisters reste un polar efficace, dont on souhaite ardemment connaître l’issue. Il se double d’une œuvre délicate et intelligente, parcourue de notations sensibles sur le quotidien dans un quartier pourri par la drogue, la façon de passer une frontière légalement (à ce titre, une guitare mythique joue un rôle étonnant et hilarant) ou illégalement (une conversation dans un bar vous arrachera des larmes), les lieux interlopes du Mexique, où trafic de substances et d’êtres humains sont le tout-venant. 

Et puis, il y a ce trio improbable, tous les secrets qui affleurent au détour d’une conversation, ces nuances infimes dans les réactions et comportements, qui racontent un monde à part entière et nous montrent les choses derrière les choses. Par exemple, comment deux femmes noires vivant dans le même quartier n’ont pas eu droit à la même égalité des chances, comment chacune d’elle pourrait aisément inverser les rôles, par nécessité ou conviction, comment un officier de police basané s’est retrouvé coupable désigné de par ses origines… Et puis, il y a le titre, qui semble une injonction, style « On y va pour les sœurs ! », mais qui reflète la profondeur du lien initial entre Bernice et Fontayne, toujours fourrées l’une avec l’autre au point qu’elles pouvaient « passer pour des sœurs » : « go for sisters », donc. La beauté de ces petits riens qui parcourent chaque image de ce grand film généreux doit aussi beaucoup à la force inouïe de ses deux actrices : LisaGay Hamilton et Yolonda Ross, évidentes, imposantes, tellement vraies qu’elles en deviennent troublantes et confèrent au film une puissance quasi documentaire. Et puis, il y a, en dehors de Mahershala Ali (qui n’avait pas encore tourné Moonlight ni Green Book) et de l’excellent Hector Helizondo,  le seul acteur « célèbre », par ailleurs producteur, Edward James Olmos, le policier féru d’origamis de Blade Runner de Ridley Scott, 1982, et de Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve), qui compose un magnifique et complexe personnage d’homme diminué physiquement, dont l’instinct affûté n’a d’égal que la droiture avérée. Il faut absolument découvrir Go for Sisters.