Cinéma et guérison

Entretien avec Michel Odoul

Une personnalité cinéphile partage sa vision thérapeutique du septième art et nous donne quelques conseils de films aux vertus bienfaisantes à ses yeux.

Michel Odoul est le fondateur d’un institut de formation professionnelle dédié au shiatsu, la deuxième médecine officielle du Japon. Une technique qui consiste à exercer une pression des doigts sur des points corporels et méridiens d’acupuncture. Après avoir exercé comme thérapeute, l’auteur du best-seller Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi (Albin Michel, 1994) donne aujourd’hui des conférences et forme des praticiens au shiatsu. À travers son ouvrage, vendu à plus de 600000 exemplaires, Michel Odoul exprime l’objet de sa recherche : le lien corps-esprit. Et explore cette question : que peut-on comprendre à l’écoute de nos ressentis corporels ?

 

Quel rapport entretenez-vous avec le cinéma ?

Fils de garde forestier, j’ai grandi dans un environnement tourné vers la nature. Aller au cinéma constituait toujours une expérience inédite, privilégiée et sacrée.

Fait étonnant, le septième art a facilité ma reconversion à la pratique du shiatsu. Auparavant diplômé de Sup de Co, une école de commerce, j’ai été cadre en entreprise. Un jour, j’ai cherché à me reconvertir professionnellement. La médecine orientale m’avait toujours attiré et je souhaitais me former à une technique médicale. Mais cela induisait de suivre de nouvelles études pendant trois ans et je n’en avais pas les moyens. Jusqu’au jour où j’ai eu une idée commerciale. Au cinéma devant Star Wars, j’ai découvert les sabres laser. J’en ai vendu plus de 30000 et j’ai pu ainsi financer ma formation au shiatsu.

Bureau de Michel Odoul. Document remis.
Le cinéma a cette faculté de mettre en lumière des conduites dont nous pouvons nous inspirer. Certains films vous paraissent-ils exemplaires de ce point de vue ?

Je n’ai pas de prescription de films à donner pour mieux s’alimenter ou se sevrer de l’alcool. En revanche, plusieurs histoires me semblent révélatrices de la relation qui se joue entre une émotion et un mal physique.

Le scénario du film Mon roi (2015) de Maiwenn s’est largement inspiré de mon travail, puisqu’il commence par la lecture d’un extrait de mon livre. Il souligne combien une difficulté à rompre un lien peut se manifester de façon mécanique. L’enjeu du récit repose sur la rééducation et guérison de Tony (Emmanuelle Bercot), blessée au genou, mais également hantée par son ex-compagnon.

Les héros du film de Claude Lelouch Hommes, femmes, mode d’emploi (1996) illustrent à merveille la notion d’effet placebo / nocebo. À l’annonce d’un faux diagnostic, Fabio Lini (Fabrice Luchini) et Benoît Blanc (Bernard Tapie) se lient d’amitié. Fabio a cru avoir une angine : il guérit de son cancer. Benoît est persuadé de souffrir d’une grave maladie : il développe un cancer.

Mais s’il fallait s’inspirer du cheminement d’un seul personnage de film, je citerais volontiers celui de Jasmine Münchgstettner (Marianne Sägebrecht) dans Bagdad Café (Percy Adlon, 1987). Pourquoi ? Jasmine vient de vivre une séparation sentimentale. Pour autant, elle ne rumine pas ni ne se ferme aux nouveaux événements. En étant curieuse des autres résidents et sans jugement à leur égard, elle devient même leur bonne fée. Son positivisme et son lâcher- prise sont de vrais outils pour se sentir bien.

Dans Psychomagie, un art pour guérir d’Alejandro Jodorowsky (2019), la caméra se fait la plus discrète et bienveillante possible pour filmer des actes de guérison. Les individus exposés l’oublient peut-être, mais la nature même de cet objet apporte une dimension solennelle et sacrée au soin. Pensez-vous que la caméra puisse participer à la guérison d’un sujet ?

Vaste question ! La caméra est un artefact, de même que tout outil thérapeutique comme le shiatsu. Si la guérison peut s’obtenir en étant le sujet d’une vidéo ou suite à une consultation médicale, c’est le cheminement intérieur du malade qui la rend possible, rien d’autre. Accorder un pouvoir de guérison à son médecin ou à une caméra revient à adopter une pensée magique. Certes, celle-ci porte parfois ses fruits : il existe des phénomènes dits de rémission spontanée. Mais pour que celle-ci puisse advenir, la capacité initiale à donner du sens est fondamentale. Il demeure pour le malade une vraie responsabilité à se réapproprier ce qu’il lui arrive. Seulement alors se donne-t-il le droit, voire la motivation, d’instaurer des changements comportementaux propices à son rétablissement.

Un film vous a-t-il déjà aidé à prendre une décision ou à dépasser certains obstacles ?

Oui. On sous-estime trop souvent la faculté d’une œuvre à transformer notre existence. Pourtant, elle est bien réelle. En 1980, lorsque j’ai découvert Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais, je me suis enfin autorisé à penser tel que je le souhaitais. Ce film illustre les travaux du professeur Henri Laborit. Celui-ci, en prenant pour cobayes des rats et des humains, exprime le caractère inhibant du stress sur l’action. Jamais auparavant, je n’avais ainsi vu théorisé ce que je pressentais depuis toujours. À la date de la sortie du film, avancer de telles idées était encore avant-gardiste. On n’était pas bien vu lorsqu’on parlait de somatisation. N’étant ni médecin, ni psychologue, le corps médical ne m’accordait pas, à cette époque, une réelle légitimité. Je me sentais marginal. Ce long-métrage m’a donné confiance dans ma faculté à réellement soigner autrui par la scientificité qu’il apporte de l’interdépendance entre le corps et l’esprit.

Vivre certaines émotions à travers un écran vous en a–t-il libéré ?

Assurément. Visionner une histoire qu’on a déjà vécue soi-même permet de se sentir moins isolé. On ne croit plus éprouver une émotion qu’on se figurait réservée à soi. Ce sentiment d’universalisme a la vertu de nous faire croire à un changement possible de notre état intérieur. L’empathie est par ailleurs le terrain de jeu des neurones miroirs : visualiser l’acceptation d’une émotion à l’image agit sur la digestion de celle-ci dans notre propre existence.

Après, il se pose la question de la représentation. Toutes les images sont-elles bonnes à montrer ou à voir ? Ne dit-on pas de certaines d’entre elles qu’elles sont réservées aux adultes ? Quand devenons-nous exactement aptes à les recevoir sans en être affectés ? Le cinéma dévoile la part sombre de l’être humain. Pour autant, ne peut-on pas parfois se le figurer sans y avoir été visuellement confronté ?

Quels sont les bienfaits de l’imaginaire sur l’inconscient ?

En réalité, l’imaginaire n’agit pas sur l’inconscient, il vient de lui. Il « propose et organise » des possibles tout en nommant des désirs. Il crée un horizon, c’est à dire une ligne, un point vers lequel aller, tout en gardant la particularité de l’horizon qui est d’avancer avec nous. Il n’est jamais atteignable, en tant que but. Il l’est uniquement en tant que direction.

Auriez-vous un film à nous conseiller pour...
  • Travailler l’estime de soi et l’empathie : Va, vis et deviens de Radu Mihaileanu (1984), qui démontre l’amour absolu d’une mère, prête à tout pour faire grandir son enfant. Wall-E de Andrew Stanton (2008) souligne l’importance de l’altérité pour le juste équilibre des sentiments. 

 

  • Ouvrir son regard : La Liste de Schindler (1993). Steven Spielberg retrace l’incroyable cheminement intérieur d’un homme qui, en changeant son regard sur les autres, leur sauve l’existence.

 

  • Transcender une pathologie : Se souvenir des belles choses de Zabou Breitman (2001), qui montre le respect et l’amour justes qui peuvent accompagner la maladie d’Alzheimer. Forrest Gump (1994) de Robert Zemeckis, qui confirme qu’un malade (ici, autiste) peut vivre une destinée incroyable, dès lors que sont donnés à sa personnalité les moyens de se déployer pleinement. 

 

  • Adopter une vision plus holistique de la santé : Medecine Man (1992). John McTiernan démontre que c’est l’association d’une molécule à une autre qui crée un médicament. Un seul produit ne suffit pas toujours à soigner. 

 

  • Affronter le quotidien : Nos plus belles années (2020). Je suis particulièrement sensible aux chroniques de la vie ordinaire comme celle de Gabriele Muccino. Il y a un côté réconfortant et rassurant de retrouver à l’écran notre quotidien. Là encore, on se sent moins seul.