Mon Roi

Sauver sa peau

Mon Roi, le nouveau film de Maïwenn, met en lumière le talent d’actrice d’Emmanuelle Bercot et confirme celui de Vincent Cassel dans le tumulte du sentiment amoureux. Un film à vivre avec violence et passion.

Régulièrement plébiscitée par le public, mais souvent la cible de la critique, Maïwenn se fraye un chemin à la tête d’une filmographie de quelques films retentissants, depuis Pardonnez-moi (2006) jusqu’au fameux Polisse (Prix du Jury à Cannes en 2011). Mon Roi, son dernier-né présenté en compétition au festival de Cannes, ne déroge pas à la règle : la réalisatrice et bon nombre de commentateurs se sont retrouvés dos à dos. Quand la première raconte à fleur de peau un amour destructeur qui s’étale sur dix ans, au sortir des deux heures et huit minutes de projection, les seconds sont en rogne : « Pathos ! », « Hystérie ! », « Chantage à l’émotion ! », déclament-ils.

À l’écran, les protagonistes s’enguirlandent beaucoup eux aussi. Quant à la caméra, elle est toujours aussi mouvante, en chasse comme une tête chercheuse. On pouvait douter, dans Polisse, de l’opiniâtreté de Maïwenn à vouloir traquer la spontanéité de ses comédiens (et parfois d’en forcer le trait), afin de coller au plus près de la réalité brute d’un commissariat. Le procédé se révèle en revanche beaucoup plus probant dans l’intimité de la passion amoureuse qu’elle décrit aujourd’hui. Cet amour est perçu au travers des yeux de deux femmes totalement liées, une actrice (Emmanuelle Bercot, récompensée pour sa prestation par le prix d’interprétation à Cannes) et sa réalisatrice, Maïwenn, confessant porter ce sujet en elle depuis des années. Jusqu’à son titre (inspiré de la chanson d’Elie Médeiros, Toi mon toit), « la femme » est l’épicentre de ce film sous l’angle d’un geyser d’émotions et d’une expression exclusive : « Mon Roi », nous dit-elle.Tony (Emmanuelle Bercot), alitée du fait d’un genou blessé à la suite d’une chute de ski, se remémore son périple amoureux avec l’homme qu’elle n’a jamais cessé d’aimer : Georgio (Vincent Cassel), un flambeur, un fêtard, un séducteur invétéré.

Les souvenirs sous forme de flash-back chronologiques déclinent les étapes de la relation avec lui : la rencontre hasardeuse mais sublime, le plaisir, la bringue, le désir d’enfant, le bonheur. La fusion et une alchimie particulière avec son actrice donne des ailes à Maïwenn. La joie notamment, qu’elle dit avoir redouté de filmer, envahit l’écran. Emmanuelle Bercot trouve en Vincent Cassel un partenaire prolixe par des joutes verbales qui vont à toute allure. Elles forment le socle de la relation sensuelle du couple qui se construit beaucoup par les mots, incluant du fantasme et une certaine immaturité. Maïwenn est particulièrement attentive à l’inconscience, aux aveuglements et à l’ignorance propre à un état amoureux qui porte déjà en lui les ferments du dérèglement. Elle dresse un archétype assez fin du mâle ensorceleur et de son espace de séduction virile. Au gré de traits d’humour, de démonstrations et de mystère qui prévaut au pervers narcissique, Georgio happe sa victime : Tony, comme immunisée de son sixième sens, se lie à lui en totale ingénuité.

Petit à petit, les fissures de cette union s’avèrent beaucoup plus concrètes. La confiance se lézarde, le poison s’immisce. Tony perd pied, recroquevillée en toxicomane du manque d’amour et devient le jouet de sa propre jalousie. Dans la souffrance, sa nature profonde se révèle exacerbée. Préalablement « grande gueule », indépendante et fière, elle monte d’un cran, devient une sorte de mutante aux comportements violents et irrationnels. Et son métier d’avocate contribue à sa lutte, mais cette fois pour sa propre défense, il y a urgence à sauver sa peau. Elle se tamponne du protocole, de la décence, de l’harmonie. Pis encore, ce sont l’hypocrisie, le déni et le mensonge qui déchaînent désormais son rapport au monde. En témoigne une séquence mémorable de repas (qui convoque le souvenir de Festen de Thomas Vinterberg), où Tony se donne en spectacle devant Georgio et ses amis, brisant tous les tabous. Qui oserait encore parler de « sexe faible » ?! Tony et Maïwenn assument cette plongée comme des kamikazes de l’extrême : ça passe ou ça casse.